Les mains.

L’idée du jour a surgi incidemment en lisant un post sur Facebook.
Une amie du réseau social publiait une illustration, une superbe femme totalement habillée de spaghetti, érotiquement entortillés autour de son corps, post soutenu par la citation suivante : « Les hommes sont empêtrés dans leurs fantasmes comme des spaghettis dans du parmesan fondu. » Frédéric Dard.
L’idée était engageante de la déshabiller en aspirant les spaghetti un à un avec le risque de se trouver repu au point de s’endormir après l’avoir dévêtue goulûment sans la moindre mastication.
Amour et grande bouffe ne font pas forcément bon ménage, ni même menu.

Gérard avait dépassé la trentaine. Un solide gaillard au cheveu ras et la barbe de trois jours, jamais vingt-quatre heures de plus. Le sourire coquin et l’œil qui frisait dès qu’il croisait une donzelle. Tout, dans son allure et son comportement, trahissait sa propension à courir le guilledou. Heureux homme, il les aimait toutes, trouvant en chacune une originalité allumeuse de désir. Toutes étaient belles. Jupe tulipe, jupette, mini ou maxi short, en jean moulant faisant la promotion de superbes fesses, les cheveux courts à la garçonne, longs et ondulés ou totalement frisés, le rendaient en joie. Son sourire gourmand en disait long sur son imagination débordante et très partageuse. Il n’était nullement égoïste, le plaisir des autres boostait le sien en espérant toujours que l’inverse fut vrai aussi. Il s’en léchait les babines par avance et son cœur tambourinait facilement d’émotion.
Jamais à court d’un bon mot accrocheur, sans être pressant ni lourd de bêtise. D’ailleurs, il n’insistait que rarement devant une rebuffade ou un refus bien senti. Il faisait une révérence bien basse en s’excusant platement : « Bien fait pour mon gueule ! » disait-il dans un large sourire. « Son gueule » lâché en imitant un accent anglais le rendait parfois sympathique et lui valait un sourire en retour. Il faisait quelques pirouettes de plus espérant un éclat de rire qui le remettrait en selle. Ça marchait parfois. Il promenait sa libido au hasard des rues et à longueur de journée lorsqu’il était en loisir ou en RTT, si vous préférez. On aurait dit que l’homme était né pour courtiser, tant ses attitudes dragueuses étaient spontanées et légères sans jamais s’offusquer du moindre rabrouement. Les plus coquines comprenaient son comportement en le saluant d’un vaste éclat de rire, lui renvoyaient une expression de la même veine et filaient en le saluant d’une main, les doigts écartés pianotant légèrement dans l’air…
Sa grande chance, il n’endossait jamais l’échec.
Il tentait et puis c’est tout.
Ça marche ou ça marche pas, elle veut ou elle veut pas, c’était le jeu.

N’allez pas croire qu’il était heureux en amour. Il avait ses travers comme tout le monde. Parfois même, une sévère infirmité. Un fantasme, bien plus que ça, il « fétichait » sur les mains des femmes et cela lui valait pas mal de « dégonfles ». Le passage à l’acte était conditionné par cette vision. Il s’efforçait de ne jamais regarder avant, se promettait toujours de dépasser cette entrave et à chaque fois c’était la panne sèche qui détonnait fortement avec joyeuse faconde d’homme sûr de lui. Les jours chanceux, lorsqu’il conquérait une jolie fille aux mains graciles, aux doigts fins et longs, aux ongles bien taillés et joliment vernis de bleu ou de rouge sombre voire de noir, il explosait avant l’allumage, ce qui n’était pas une bonne affaire non plus. Passée cette alerte il était capable d’enclencher le diesel puis le turbo à plusieurs reprises…

Il était englué dans son fétichisme « comme les spaghetti dans du parmesan fondu ». Il songeait à faire une psychothérapie pour tenter de comprendre d’où lui venait cette faiblesse ou ce supplément érotique, allez savoir !

Il se mit à cogiter tout seul.
Au fil des jours, il redescendit très loin dans l’enfance, jusqu’au CP.
C’était un élève très laborieux. La maîtresse s’occupait de lui sans grand succès, son entendement était brouillé le rendant réfractaire à bien des apprentissages simples. Un soir, à force de se creuser les méninges, son subconscient mit les paluches là où le conscient n’ose jamais poser ses pieds. Les mains de la maîtresse s’animèrent, un doigt entouré de bagues colorées pointait un mot sur son cahier : « Regarde bien là, tu crois qu’il faut un T ? » Gérard, l’esprit embrouillé, obnubilé par cette main gracieuse, ne comprenait rien. L’esprit totalement absorbé par les jointures légèrement noueuses des phalanges, l’agilité du doigt qui insistait en tapotant le papier pendant qu’une caresse de l’autre main lui parcourait les cheveux pour le rassurer, formaient un spectacle qui l’éloignait inexorablement de toute approche scolaire. L’émotif et le sensuel prenaient le pas sur l’intellect.

Encore trop jeune enfant, il ignorait qu’une telle empreinte le marquerait à vie.

Cette découverte, loin d’éclairer ses échecs amoureux, l’enfonça un peu plus dans son fétichisme des mains… Ce n’est qu’au fil des années que la marque s’estompa puis s’envola sans prévenir. Pfffffff ! Comme une baudruche qui se dégonfle, tourbillonne et disparait dans un coin perdu. Sa superbe également envolée, il ne courait plus après tous les jupons comme avant. Il souriait à un joli minois qui cherchait le partage… Il s’engageait volontiers, toujours heureux de donner sans condition et ne jamais compter pour donner…

Son plaisir et sa jouissance assujettis à des fantasmes despotes s’étaient libérés.
L’ombre du fantasme tapi dans une circonvolution de l’aire émotive du cerveau dormait toujours, capable de surgir à la moindre vue d’une pub, une main délicate qui s’empare d’un flacon cylindrique de parfum entêtant…
J’ai dit entêtant ?

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