Nos quartiers de naguère étaient vivants et très peuplés. Les portes restaient ouvertes pour qui passait à toute heure du jour pour saluer, boire un café, déguster un vin du Cap ou pour croquer un gros grain de raisin Italia vieilli dans un flacon d’eau de vie. L’accueil était toujours chaleureux. Les grands-pères et les grands-mères se réjouissaient de recevoir le passant, le visiteur, avec le sourire et même une joie réconfortante.
Lorsque des parents, proches ou éloignés venaient du village voisin, à pied ou de plus loin profitant du déplacement occasionnel en traction d’un autre visiteur, ce n’étaient qu’embrassades et rappels d’un passé encore tout frais. Il fallait les voir, le visage illuminé et entendre ces récits d’une enfance commune à courir après les chèvres et les ânes, à descendre dans les jardins pour aider aux cultures, à cueillir les figues, les noix et les châtaignes… à vivre tout simplement dans un même plaisir, un même réconfort, une même entraide.
Les portes fermaient mal. Toutes les ouvertures étaient disjointes laissant passer le souffle du vent et les paroles du passant. Il suffisait de frapper et d’entrer sans attendre la réponse. Une habitude forgée par la confiance et lorsqu’une personne âgée ne s’était pas manifestée de la journée, il suffisait de pousser l’huis, de faire entendre sa voix, d’aller jusque dans la chambre pour vérifier que tout allait bien.
Des œufs frais, des tomates, une soupe ou le partage d’un ragoût de sanglier sans rien attendre en retour et sans prévenir.
Aujourd’hui, j’écoutais les infos devant mon téléviseur. Des gendarmes visitaient des villas. Ils faisaient le tour des maisons habitées pour une inspection approfondie puis rendaient leur verdict aux occupants. Une sorte de résumé des points faibles. Une échelle contre un mur, un volet fatigué, une serrure insuffisante, des objets trop visibles pouvant attiser la convoitise. Ils cochaient des cases sur une grille puis rendaient un bilan pointé de faiblesses à corriger au plus vite. Les habitants gênés se sentaient coupables de négligence et devaient au plus vite régler ce problème.
Ils sont coupables. Coupables de pas vivre barricadés, d’offrir un passage trop facile au cambrioleur. Ne vous étonnez pas si des visiteurs indésirables passent par chez vous… Coupables, vous êtes coupables, barricadez-vous. Enfermez-vous à double, triple voire quintuple tour ! Le temps n’est plus aux embrassades, aux visites amicales, à la confiance réciproque… Il faut garder l’œil et ne plus dormir sur ses deux oreilles. Le monde à l’envers, car celui qui se fait prendre n’est plus responsable… il ne fait que passer et tant pis si votre porte est offerte. Il a de bonnes raisons, vous n’avez que mauvais jugements sur vos biens comme dans les intentions des visiteurs indélicats. Et si d’aventure, vous vous avisiez d’un geste trop déplacé, il pourrait vous en cuire de ne pas avoir respecté votre prochain de passage chez vous.
Allez, enfermez-vous bien, rien ne doit passer ni vent ni gentleman cambrioleur et si vous moisissez dans votre univers clos, ne vous en prenez qu’à vous-même. C’est votre faute… votre faute, vous entendez !
Sur portes ouvertes, portes offertes de notre passé encore tout chaud vous pouvez crier : rideau !
Cri du cœur qui pourrait convenir en bien des coins de France.
L’état impécunieux n’envoie plus de gendarmes dissuader les voleurs de pommes pensent les braves gens. C’est vrai qu’on n’en voit plus guère de ces estafettes patrouilleuses quotidiennes qui irritaient bien un peu mais rassuraient tant. Ils nous dispensaient de pousser le verrou en sortant. Les pandores savaient agiter l’index sous le nez des garnements avant qu’ils ne passent des pommes aux poules puis aux bœufs ou aux ânes selon des contrées. On faisait de la prévention. On nous recommande de nous barricader. C’est aussi un coût.
Les peuples sans gendarmes, s’arment ou montent des milices. Mais c’est une autre histoire.