Le regard dans l’eau.

Cela faisait un bon moment que j’observais le pêcheur.
Il ne m’a pas vu passer à côté de lui, il avait le regard dans l’eau et ne voyait pas la mer.

La mer était un décor planté de longue date.
Ce qui l’intéressait, absorbé par la traque du poisson, c’étaient les vaguelettes, les clapotis, le fil qui voguait et parfois se tendait.
Mille fois, il rata son coup.

Je le vis retirer sa ligne, l’hameçon nu, le fil en sinusoïdes, léger, balloté par la brise légère. Il faisait chou blanc inlassablement, changeait de rocher mais jamais n’affichait le moindre signe de découragement.
Cent fois, il arma son ardillon, cent fois il embrocha…
Tantôt un ver aquatique aux pattes nombreuses et appelantes, tantôt la partie molle, vulnérable, d’un coquillage, plus rarement un bibi*, visant la daurade.

Il tâtonnait, tentait sa chance en appâtant l’immensité invisible de la mer. Il pensait le monde sous-marin en chasse alors qu’il était, sans doute, en léthargie d’un début d’après-midi.

Il avait le regard dans l’eau et les idées sous-marines.
Son esprit, sans rien voir entre les rochers submergés, imaginait girelles, sars et soudain plus optimiste, servait un bibi à l’hypothétique daurade royale.

Cela dura de longues heures.
Me souvenant d’aventures en rivière, traquant la truite à travers maquis et chemins chaotiques, accroché au passage par ronces et bruyères, je m’étais fait pêcheur marin.
Faisant des infidélités à l’eau douce, je m’identifiais à l’homme des rochers nus, mon esprit, calqué sur le sien, communiait avec le fond de l’eau.

Vaincu par l’attente trop longue et stérile, sans jeter le moindre regard derrière lui, le pêcheur plia sa canne, vida son seau en le secouant délicatement, ceignit sa musette, tira sur la visière de sa casquette, la positionnant plus basse, puis tel un singe agile, il sauta de rocher en rocher pour atteindre la route.

Le visage songeur, il s’éloignait de la mer à pas lents mais assurés.

Ce soir, il rêvera de l’onde sous la nuit étoilé, s’imaginera une revanche merveilleuse…

Le regard dans l’eau.
Changeait de rocher.
Embrochait…
Cherchait un appât nouveau…

*Bibi = gros ver blanc qui sert d’appât pour daurades.

2 Comments

  1. C’est tranquille, un pêcheur, patient et philosophe….. Le contraire d’ un chasseur ! 😉

    1. Dans ma jeunesse, j’étais un chasseur philosophe et patient, très patient.
      J’ai évolué depuis, c’était nécessité 🙂
      Bon samedi Al.

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