Normalité, excès de zèle ou folie ?

Changeons un peu de sujet.

Aujourd’hui, je lisais dans un article consacré à une ville des Yvelines où j’ai exercé pendant 21 ans, qu’il se passait de drôles de choses.
Les parents d’élèves d’une classe de CE2/CM1 se plaignaient de voir défiler des remplaçants depuis la rentrée de septembre. Les enfants en seraient à leur cinquième enseignant à la mi-novembre.
Déjà perturbés par la Covid l’année précédente, voilà que des arrêts de travail de courte durée orchestrent désormais la valse des remplaçants…

Je me suis souvenu de mes débuts dans la profession.
J’étais remplaçant.

Je me souviens de quelques galères.
Nous ne savions jamais dans quel endroit reculé nous allions atterrir et pour combien de temps. Nous arpentions le vaste département pour des remplacements de durée variable, c’était notre boulot et nous le savions parfaitement.
C’était notre lot avant la titularisation dont l’attente pouvait durer de 3 à 5 ans, avant d’avoir un poste fixe.
Nous apprenions le métier sur le tas en ne rechignant aucunement, par crainte de perdre la poursuite de notre sacerdoce. Nous faisions nos classes en faisant la classe, changeant allègrement de secteurs et de niveaux.

Sans véhicule pour me déplacer, je voyageais en train d’un bout à l’autre des Yvelines, parfois en car ou à pied sur des trajets non desservis par les transports publics.
Le coup d’envoi fut donné à Maurepas, mon premier remplacement.
Nous devions traverser un pont, une redoutable patinoire par temps de gel, nous avancions au rythme des barreaux bien agrippés à chaque degré. J’ai le souvenir d’une dame qui se rendait à son travail et s’était étalée de tout son long, elle a dû être évacuée par les pompiers, en pleurs sous la douleur d’une fracture. Cela m’avait troublé.
Un jour de grève SNCF, j’ai effectué le parcours en stop, le terminant à pied sur quelques kilomètres. Me voyant arriver vers 11 heures, la directrice postée dans son bureau vitré se tamponnait le temporal en me voyant arriver.
– Comment allez-vous rentrer ce soir ? Je dirai aux collègues de ne pas vous accompagner, cela vous servira de leçon !

Madame Giraudon était une brave femme, elle m’a défendu bec et ongles lorsqu’un missi dominici de l’inspection était venu sonder le personnel sur mon comportement.

Une autre année, j’ai été renversé par une voiture sur l’avenue de Paris à Versailles. Une large avenue. J’avais été frappé de plein fouet dans les jambes, valdinguant quelques dizaines de mètres plus loin.
J’avais un arrêt de travail d’une semaine, à renouveler le cas échéant. Le lendemain, j’étais dans le train, les jambes noires, tuméfiées, malgré les nausées, j’ai assuré mes cours sans rien dire.

Pour mettre tous les atouts de notre côté nous avions pris logement au pied de la gare rive gauche de Viroflay qui desservait presque toutes les autres gares. Nous fûmes mutés dans un endroit servi par « rive droite ». Nous partions vers 5 heures du matin, à pied pour aller à l’autre gare dont le train nous conduisait à St Lazare à Paris. Nous attentions le train suivant devant un café noir, nous embarquions pour Mantes la Jolie, sautions sur le quai des Mureaux puis trottions deux kilomètres à pied pour gagner le plateau de Bècheville où se situait l’école dans un château. Nous attendions notre premier enfant, mon épouse traînait les pieds, je la tirais en tenant sa main, elle s’arrêtait pour vomir dans les buissons, nous arrivions toujours à l’heure. Le soir nous faisions le parcours inverse, harassés de fatigue, nous nous jetions sur le lit et nous nous endormions sur le champ.

Jamais nous n’avons lâché, nous savions quelle était la donne, il fallait tenir coûte que coûte…

Aujourd’hui, en lisant ce genre d’article sur la valse des remplaçants, sans doute motorisés, je me demande si mon comportement était normal, s’il s’agissait d’excès de zèle ou si c’était pure folie.

C’était la vie que nous apprenions à gérer contre vents et marées, nous allions droit devant pour construire notre avenir…
Je ne regrette rien, sans doute referais-je le même chemin… j’ai plein de souvenirs à raconter.

Une vie bien remplie ça n’use pas, chaotique et cabossante fut-elle, continue à nourrir des jours heureux.

N’y voyez aucune leçon, c’est un simple récit.

Là-bas à l’horizon, le soleil attend…

7 Comments

  1. C’était un autre temps, celui où l’on faisait ce qu’on avait à faire sans se poser de questions et sans rien attendre des autres.
    Quelle galère quand même, Simonu, je connais tous les endroits que tu évoques, quel dommage qu’on ne se soit jamais rencontrés, on aurait pu s’entre aider, nous aussi on galérait pas mal.
    Mais le soleil revient toujours, ça on le savait, et c’est pour cette raison qu’on tenait le coup 🙂

  2. Ma belle-fille est également remplaçante et elle connaît pas mal de galères, ne pas savoir la veille de la rentrée où elle va être propulsée. Bref c’est un peu du n’importe quoi je trouve

    1. 🙂
      Je m’en accommodais et apprenais la vie.
      C’est toujours enrichissant de n’être pas dans le confort, mais on ne s’en rend compte qu’après coup.
      Il n’y a pas péril en la demeure, un jour elle en rira.
      Bonne après-midi Gys 🙂

  3. Je suis allée un nombre incalculable de fois bosser alors que j’étais malade comme un chien. Il faut dire que je n’ai jamais eu une santé au top, si je m’étais arrêtée à chaque fois que je piquais un 40 j’aurais travaillé en pointillé 😀 A l’époque on ne se posait pas la question, on y allait, c’est tout ! et je pense que c’était aussi une question de mentalité et d’éducation………

    1. Oui Gibu, un autre temps, une autre mentalité…
      Bon, arrêtons là pour ne pas passer pour de vieux schnocks…
      on était ainsi et puis c’est tout…

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