Petite leçon de corse.

Je ne suis pas en mesure de vous faire un cours précis de corse mais je peux vous en dire quelques mots.

Pour ce faire, je vais devoir tordre le bras à l’académisme pour la traduction des vocables.
J’aurais pu les écrire en phonétique mais qui pratique encore la phonétique sans avoir la liste des phonèmes sous les yeux ?
Ce serait infliger une double peine, dans le sens de double charge, décrypter avec le code sous les yeux.
Je vais vous proposer une démarche sauvage comme on entre dans un jardin rustique sans faire dans la dentelle potagère.

Il est plus simple pour le commun des mortels de dire, lisez ainsi :
Unu sturzonu, Ounou stourzonou avec l’accent tonique sur l’avant dernière syllabe.
Certes les puristes de l’Académie Nustrale crieront au scandale si l’on simplifie de la sorte, c’est juste pour les profanes qui ne font pas de la chimie de pointe.
Ici, sur cette page, on s’amuse en évitant les prises de tête.

Le plus souvent les « expressions-mots » que nous utilisions couramment dans les rues du village sont intraduisibles en un seul mot en français. Il faut toute une phrase pour en extraire le sens précis et parfois de manière incomplète.
Nos « expressions-mots » sont un condensé qui exprime parfois le visuel et les autres sens comme une sorte de comprimé qui concentre tous les principes actifs.

Je précise que l’on nous interdisait de parler corse dans l’enceinte de l’école mais dès la récré, le naturel reprenait le dessus car nos parents et grands-parents ne pratiquaient que la langue maternelle, nustrale dit-on aujourd’hui. Cela valut aux moins méfiants de connaître le piquet, bien souvent.
Croyez-vous qu’ils ruminaient leur « péché » en en déclinaisons françaises, front contre le mur ? Je suis sûr que tous les jurons de la création locale devaient y passer, enrichissant et renforçant la liste des gros mots…

C’était ainsi, mais rien ne nous échappait, nous avions même appris à franciser nos mots pour donner l’impression de parler la langue de Molière. Un Molière facétieux comme il se doit, en roi de la comédie.

Cet humour faisait des ravages aussi, car le simple fait de traduire avec une touche de dérision nous conduisait à des contresens qui perduraient et s’installaient définitivement dans les esprits. Le sens initial était perdu.

Voici un exemple typique.
L’expression « Va e tirati capiu !« , nous la traduisions littéralement, par « Va te jeter balai ! » C’était de la dérision et c’est ainsi que nous en perdîmes le sens originel.
« Va e tirati capiu » signifie « Va te pendre ». « U capiu » c’est le nœud coulant et « a capia » le balai. Avec ces approximations qui se voulaient amusantes, nous mélangions les mots dont l’orthographe était proche, perdant ainsi le sens original.

Ainsi naissaient les verbes « scouzzouler » issu de « scuzzulà » = secouer.
 » sountouner » issu de « suntunà » = ébranler

Nous détournions des quantités de verbes pour faire croire, par consonnance, que nous parlions français.

Je suis « abambanné », sogu abambanatu = estourbi ou crevé mais avec une forte connotation au niveau du cerveau, assommé, étourdi.

Je suis « sboussoulé », sogu sbussulatu = je n’ai plus un sou, j’ai tout perdu.

« Il est sbidicaré », hè sbidicaratu = il est pété de rire mais en faisant référence à un rire à vous faire éclater le ventre.
« u bidicu » = le nombril.

On peut poursuivre ainsi, longtemps, vous avez compris l’essentiel.

Voici quelques mots que l’on n’entend plus :

Unu sturzonnu = un gros morceau d’aliment capable de vous étouffer.
Una stagnala = une vieille casserole rouillée, un vieil ustensile très abîmé.
Un biscicanti = de « biscica » (vessie) une cloque après une brûlure, utilisé à la pétanque pour désigner un carreau qui provoquait une ampoule dans l’imaginaire du tireur satisfait de son coup.
Acqua in bocca e vinu in corpu = faire silence, se taire ne rien divulguer de ce que l’on sait sur quelqu’un, par exemple.
Runcà = braire, utilisé aussi dans le sens de ronfler, par dérision.
I colpa fallaiani attriciulati : les coups tombaient drus, et même torsadés, une grosse bagarre.
Scupulà = à l’origine couper en deux, (Preschi scupulaghjoli, des pêches facilement séparables en deux hémisphères par simple torsion, bien imprimée)
Surpulà = avaler par succion par aspiration parfois en faisant un bruit, terme utilisé à la pêche « A truita a surpulatu u bucconu » = la truite a aspiré l’appât.
Una porta sbalasgiata = une porte grande ouverte.
In balcunata = être à la fenêtre bien en vue, de manière ostentatoire.
In affachetta = épier, souvent caché derrière des persiennes pour surveiller ce qui se passe dans la rue.
Sbacinà. Voilà un terme intéressant.
U bacinu est un décalitre qui servait à mesurer une quantité de noix, le plus souvent, dans notre village. Il servait également pour les haricots secs, les céréales, les châtaignes. C’est comparable au boisseau dont la capacité varie selon les régions allant jusqu’à 12,67 litres dans le nord de la France. Chez nous, c’était le décalitre (10 litres)
Lorsque une personne allait chez un voisin pour se libérer de toutes ses inquiétudes, de ses soucis, on disait « Hè vinutu à sbacinà » = il est venu vider le décalitre. Parfois, la personne, elle même, qui avait besoin de se soulager la conscience disait « Sogu vinutu à sbacinà » = je suis venu vider mon sac.

C’est tout pour aujourd’hui, j’imagine que vous en avez assez.
Certes, il y a toujours à boire et à manger dans ce genre d’affaire, certains y donneront d’autres explications. Chaque village, parfois chaque quartier, avait ses codes et ses variantes.

Lorsque je suis rentré en Corse, j’avais instauré, de mon propre chef, une discipline de quelques minutes qui s’intitulait « Le corse au secours du français ».
Nous traitions l’orthographe par le mot corse qui indiquait, par consonnance, les lettres finales muettes et les accents circonflexes dont on se fiche aujourd’hui… Je faisais d’une pierre deux coups et cela me vint le plus naturellement du monde.
Je me suis souvenu de mon enfance et des procédures qui m’avaient aidé.

Pour le plaisir :

Déjà vue, mais je ne m’en lasse pas.
La poire abandonnée.

11 Comments

  1. La langue corse dit-on est celle qui est la plus proche du latin.
    Un belle langue, musicale et douce, très imagée. Je ne vais certainement pas retenir tout ce que vous nous présentez, mais l’article est intéressant et les photo « pour le plaisir » rien que du plaisir 🙂

    1. Tout va bien Al, je me suis bien amusé, ma leçon c’était simplement me faire plaisir.
      Quel égoïste ! 😉
      Bonne journée.

  2. dentèle potagère ??? C’est une variation à dentelle ?
    😉
    Amicalement

    1. Cela m’a échappé, mais finalement ce n’est pas plus mal…
      Lorsqu’on écrit abondamment et vite de surcroît, on s’expose 😉
      Ce n’était pas volontaire, mais ça vaut le coup !
      Bonne journée André.

      1. Bonne journée à toi et merci de tout coeur pour tes récits.
        🙏🏼🙏🏼

    1. Vous pouvez le dire, je viens d’être attaqué par un essaim de guêpes, j’ai la tête gondolée et ça fait mal !

  3. Peut-on dire « je suis abambanné(e) par l’informatique ?
    Bonne soirée Simonu.
    Le livre est en cours de livraison. 🙂

  4. Oui Chat, l’informatique peut vous « abambanner » comme le pittoresque peut vous frapper.
    Généralement, on s’en sort cahin-caha, mais on s’en sort 😉
    Avec le livre vous êtes plus avancée que moi, je galère pour les avoir et ne sont pas encore partis, peut-être pour Noël s’ils attendent les rennes !
    Bonne soirée, merci. 🙂

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