Surtout n’allez pas croire que je commence à débloquer. Je vais bien, très bien même. Je fais mille choses dans la journée, du jardin à la photo… j’ai encore des projets et surtout, je sais m’amuser de folles choses, là où la vie est plus forte encore. Très réaliste, je suis loin du doux rêveur et pourtant j’adore rêver à ma guise et je maîtrise.
Dans un coin du cimetière, une croix de pierre à la taille grossière se cache dans les fougères et les asphodèles. Elle a été mise là pour l’oubli, on dirait. La mousse et le lichen ont recouvert les marques du ciseau d’un graveur de fortune et cela lui donne un air vieillot, un âge avancé. Le nom, les dates ne se devinent plus, le temps qui passe combiné à celui qui chauffe, mouille, mord ou cingle a tout effacé. Le temps qui s’en fiche, le temps qui roule et s’enfuit.
Etait-il un homme d’ici ou d’ailleurs ? Je ne sais pas.
Un soldat tombé sous les balles que l’on a posé là ? Une âme de passage ?
Il courait les rues de son quartier en culotte courte, peut-être pieds nus… Il guidait un cerceau comme les enfants de son âge et faisait mille bêtises pour construire son adolescence. Un jour, il est parti, est venu par ici.
Sa bien-aimée l’attendait, sa femme, ses enfants peut-être… Que faisait-il là ?
Il avait une histoire. Personne ne s’en souvient.
Quand je passe à côté de sa croix, je le vois, je l’entends… je lui donne un visage et j’engage une conversation silencieuse, imaginaire… je dis des mots sans voix, lui parle de conscience à esprit.
Personne ne vient se pencher sur son souvenir. Savent-ils qu’il est là, eux, là-bas ?
Faut-il que je supprime la vie végétale qui efface son identité ?
Faut-il que je brosse la mousse et creuse les inscriptions pour les rendre lisibles ?
Je ne ferai rien. Il dort et veut garder son secret.
Je m’arrête devant sa croix lorsque le hasard m’amène ici. Il n’est plus seul. Il me regarde, je le vois, on se connaît maintenant. Je sais son histoire : je l’ai inventée.
Il dort mais devine ma démarche claudicante et se réveille sous mes pas. Alors, il m’interroge :
« Ça va aujourd’hui ? »
« Et toi ? »
« Moi, ça va, je sais maintenant, mais je ne peux rien dire. »
Alors, je m’éloigne, me retourne parfois… J’ai l’impression qu’il me suit. Non, j’ai l’imagination trop fertile : je lui donne vie pour meubler mon esprit vagabond.
Je suis dans la vie, je me remplis les yeux de merveilles. Je m’enivre de toutes ces choses, belles, qu’un jour je ne verrai plus.
C’était un homme. Qui se souvient encore de lui dans son pays ?
C’est en partie la poursuite de vos réflexions avec un nouvel éclairage. J’ai plaisir à le lire, il est positif. Mais c’est aussi car j’y retrouve cette forme de dialogue avec ceux qui sont absents qui m’arrive assez fréquemment lorsque mes occupations manuelles laissent à mon esprit assez de disponibilité pour qu’y intervienne tel ou tel personnage du passé et du présent qui se présente.
A vous relire
c’est très beau,quelle imagination,en faite vous êtes un observateur,vous voyez tout,moi aussi j’observe,plus qu’auparavant mais je ne pourrai jamais mettre en ecrit ce que je vois,ou même les épisodes qui sont resté dans ma memoire.
ce n’était en aucun cas triste,comme d’habitude j’ai aimé.
j’ai une amie (une dame de 80 ans)qui me dit toujours il me deplairait de mourrir et de ne plus voir ça.(ça c’est une vue paradisiaque que l’on a Pino a un endroit précis,et ou l’on fait une pause avant une promende)
au revoir,et bonne journée