Le portrait que vous voyez de moi dès que vous entrez dans le blog, est presque une imposture.
Je n’ai jamais porté de barbe de manière permanente mais une moustache très fournie avec les pointes ébouriffées dirigées vers le ciel. Rien à voir avec celle de Dali qui pouvait frémir parce qu’infiniment plus fine et cirée pour mieux trembler lors de la pub du chocolat Lanvin. Une cire invisible la maintenait presque à la verticAAALE… aurait-il dit, les yeux écarquillés.
La mienne est bien plus sauvage, toute en broussaille attirée à ses bouts par le firmament. Cela m’a valu quelques « prétentieux va ! », comme si je voulais induire un autre plaisir. Qu’y puis-je, si ma vigne s’est habituée au seigneur, le cherchant désespérément en pointant ses ailes vers les cieux ? Je n’aime pas les moustaches qui tombent à la gauloise. Elles vous donnent un air triste et sévère même lorsque vous souriez. Avec les miennes je souris sans sourire. Ce sont elles qui décident et parait-il, lorsque j’ai l’œil coquin, elles se font coquines aussi. Des bacchantes qui parlent, sans rien dire pourtant. Elles parlent de moi, elles sont mon signe distinctif et bien particulier. Moi, sans poils sous le nez, vous ne reconnaitriez pas. Depuis l’âge de dix-neuf ans que ce petit maquis existe. On m’a juste rasé en Allemagne, à Radolfzell… Elle n’a pas connu l’air du lac de Constance tout proche et du bataillon d’infanterie qui m’avait accueilli pour un peu de temps. J’ai mal vécu ce moment car on s’était trompé sur moi. Un officier pensait que je faisais la sourde oreille alors que j’avais été touché par un médicament ototoxique* qui vous rend sourd et vous épargne rarement. Dans le meilleur des cas, le mien, il vous laisse une oreille dans un état bancal et l’autre hors d’état d’entendre. Alors pour me mater de mon outrecuidance, de feindre l’hypoacousie, on allait me dresser du côté du lac dans un bataillon semi-disciplinaire. Pas cru par l’ORL de service et privé de mon meilleur attribut, la moustache, j’étais triste à mourir, devant subir les pires outrages durant la phase de redressement.
Je l’ai retrouvée lorsque moins de trois mois plus tard, j’étais réformé pour surdité partielle… elle m’a redonné le sourire jusqu’aux oreilles et ne m’a plus jamais quitté.
Alors, d’où sort cette barbe ? Elle n’a duré que le temps d’une construction de cabane sur plots. J’avais décidé de ne plus me raser tant que mon abri de jardin n’était fini. Il m’a fallu des jours et des jours car, j’œuvrais seul presque sans outils adaptés à la tâche. Lorsqu’elle se fit plus dense et blanche, j’ai pensé qu’elle pouvait me vieillir et me donner l’image d’un âge beaucoup plus avancé.
C’était au moment où j’écrivais des aphorismes sur la vie et la mort. Parmi eux, j’avais choisi l’épitaphe pour ma pierre tombale, accompagnée d’une photo. Un portrait qui me fasse un peu vieux au cas où je ne vieillirais pas et celui-ci me convenait parfaitement.
C’est sous cette barbe blanche que je n’ai porté qu’un temps limité que je ferai inscrire ces mots : « Je suis venu, j’ai vu et je n’ai rien compris ». J’ajouterai peut-être, « Maintenant, je sais mais je ne peux plus rien dire ».
C’est mon habitude, d’un rien, je fais une histoire. Tout est anecdote et histoire du côté de chez moi, rien n’est fortuit ni anodin… J’ai voulu remplir ma vie de plein de vies.
Une histoire de barbe et de moustache qui remplissent une vie, quelle idée saugrenue !
* Durant mon enfance, on ne connaissait pas la nocivité de ces antibiotiques ototoxiques que les médecins administraient à hautes doses. Souvent, ils s’attaquaient au nerf auditif entraînant une surdité bilatérale totale. Dans le meilleur des cas, l’atteinte n’était qu’unilatérale avec un affaiblissement de l’audition de l’autre oreille, c’était mon cas.
J’aime beaucoup l’épitaphe.
L’histoire militaire m’a captivé.
Et alors à quand une photo réelle ?
Bonjour Etienne. J’ai raconté cette histoire en plusieurs épisodes intitulés « L’oreille de toute une vie ». C’est elle qui a orienté toute ma vie, de l’apprentissage de la lecture en passant par l’université, le service militaire et devenir spécialiste de la rééducation de la lecture, aboutissement a priori, hautement improbable. Un aboutissement incroyable après avoir été éjecté d’un centre de tri postal (meilleurs résultats à tous les examens écrits et oraux, j’étais le seul à l’université…) pour réforme à l’armée et finir dans les écoles. Une chance inouïe qui a fait le bonheur de ma vie.
Merci Etienne.