La devineresse.

Ah le vilain mot !

Trop long, trop stress, trop robe à traîne, trop tout de ce que vous pouvez imaginer en « esse ».
La gentillesse, la caresse, la finesse, même la détresse et la paresse passent facilement, pas la devineresse, non, non !
Même doctoresse ne me convient pas, j’aurais dit la toubibe.
Dans ce mot, on entend « tout » et le début de « biberon », c’est pas mal non ?
C’est comme la maladie, n’était-ce pas mieux « le maladit » pour le mal a dit ?
M’enfin à quoi ils pensent, tous !

Heureusement que je passe des moments futiles à m’amuser ! Là aussi, je pensais à des moments furtiles parce qu’un peu furtifs malgré tout.
Bon ! On ne peut passer sa vie en amusements, j’arrête là mes sottises.

La devineresse, donc, je l’aurais appelée la « devine », c’eut été plus énigmatique, plus joli et plus court aussi, plus intrigant finalement, car le mot n’existe pas.

Marie-Jeanne était une vieille dame toujours habillée en noir. Elle portait le deuil perpétuel de ses aïeux. Ici, c’était ainsi, on s’interdisait les couleurs, le sombre présidait toute une vie comme si la mort était une assassine, comme si on la découvrait soudain et que son passage était toujours une surprise.
Pourtant, chacun sait qu’elle est là, toute proche, prête à récupérer son dû.
C’est en embuscade qu’elle se poste. Parfois, elle s’annonce longtemps à l’avance si le mal a dit, elle vous assiste, vous surveille, vous couve presque, et vous emporte… Hop ! Allez, c’est fini !

Marie-Jeanne semblait mystérieuse. Ses yeux se perdaient au loin, souvent dans le vague. Mais lorsqu’elle vous regardait, on aurait dit qu’elle vous regardait sans voir, sans vous voir. Et si elle vous faisait face, préoccupée par un mystère, son regard vous transperçait, lisait votre âme comme un scanner et vous disait tout sur l’avenir.
Un personnage, une femme de légende…

Cette attitude la rendait énigmatique. Les voisins, les proches comme ceux qui la découvraient, « mystérisaient » la personne :

  • Ah Marie-Jeanne ! C’est une drôle de femme, une femme qui a des connexions avec l’au-delà. Elle en sait des choses que nous ignorons !

Elle annonçait les catastrophes et prédisait le temps.

  • Tiens, demain, il va pleuvoir !

Le temps changeait, parfois non, et alors tout le monde oubliait sa prédiction. On attendait la prochaine qui sera la bonne.

Elle était surtout sensible au changement de temps. Elle sentait le brouillard envahir son corps et la pluie la tremper de la tête aux pieds.
Ses meilleures prédictions, les plus sûres, elle les disait à la fin de l’été lorsque l’automne était à deux pas de venir.
Alors là, tout le monde était épaté par ses annonces…

Comme un baromètre biologique, la vieille dame était sensible aux variations du climat…
Elle était percluse de rhumatismes et les quelques dents qui lui restaient lui provoquaient des névralgies saisonnières.

On la disait devin, elle est partie un jour dans son sommeil sans que personne, y compris elle-même, n’ait soupçonné la présence de la faucheuse postée au-dessus de son lit.

  • Tu as su pour Marie-Jeanne ?
    Elle est morte cette nuit, il parait qu’elle est sereine sur son lit, je suis sûre qu’elle savait mais elle n’a rien dit !

Marie-Jeanne, le devin, la devineresse ou la devine, comme il vous plaira, avait hypnotisé son monde et si elle n’a rien dit sur son trépas imminent, c’est qu’elle ne voulait faire de peine à personne. Tout le voisinage en était persuadé

Ainsi allaient les contes qui ne sont pas de fées…
Les belles légendes que l’on aimait entendre le soir à la veillée au coin du feu.
Les longues nuits d’hiver entretenait le mystère, chacun y allait de son talent persuasif de conteur.

6 Comments

  1. C’est marrant je n’aime pas le mot non plus, petite je consignais dans un petit carnet les mots qui me semblaient magiques dans le dico, sans en regarder forcément le sens. J’avais dégoté un pythonisse que j’employais un peu à toutes les sauces en m’en délectant 😉
    Votre histoire est belle, elle dit aussi la gentillesse d’une communauté qui croit en chacun sans pour cela être dupe, c’est de la bonhomie tendresse en fait.

    1. Un nom presque en « esse ».
      Je ne connaissais pas, il me reviendra à l’occasion.
      On s’amuse n’est-ce pas Al , 🙂

      1. On n’est pas là pour pleurer 😉
        Dans ma collection je me souviens aussi de salamandre et césarienne, ça rendait folle ma mère de voir comment je les employais, jamais à propos évidemment et toujours au mauvais moment, quand elle avait envie de montrer en société combien sa fille était bien élevée 🙂

    1. Il s’agit d’un cliché que j’ai pris durant les médiévales de Lévie.
      Je l’ai bidouillée pour la circonstance du jour, j’ai noirci la « devineresse » du groupe par exemple.
      J’en ai un stock.
      J’aurai pu faire mieux mais je vais vite, trop peut-être.

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