Abracadabrance

« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée » selon Descartes.

Peut-on avoir du bon sens sans être logique et peut-on accéder à la logique si l’on ne possède aucun bon sens ? Ce pourrait être un sujet au Bac philo.

Si l’on se fie aux jeux télévisés on peut se poser la question. Le jeu Money Drop est un excellent observatoire pour s’en convaincre. Le « tout venant », c’est-à-dire le candidat ordinaire,  se trouve confronté, bien souvent, à des questions dont il ne connait pas la réponse et doit répondre quand même. C’est parfois l’occasion de se mettre à nu en affichant sa capacité à raisonner sur du vide. C’est au pied de la question que l’on reconnait  le potentiel. Dans d’autres jeux, le candidat a la possibilité d’arrêter lorsqu’il se trouve en difficulté, ici c’est la victoire finale ou rien du tout.

Voilà deux candidats face à la question qui tue, celle dont ils ne possèdent aucun élément susceptible d’autoriser le moindre raisonnement. Eh bien, ils y vont quand même ! Et comment s’en sortir ? En inventant des postulats personnels servant d’appui à la plus pure logique fondée sur du vent.

Croient-ils, à ce moment précis, à ce qu’ils disent, contraints par la règle du jeu qui les oblige à meubler le vide minuté, laissé entre la question et la réponse ? Ils se trouvent dans une situation hautement névrotique qui les force à parler alors qu’ils n’ont rien à dire. Puisqu‘on est là pour trouver, cherchons donc, quitte à dire n’importe quoi. Il leur reste le hasard qui offre la chance  de tomber juste après avoir tenu un raisonnement totalement faux.

En voici trois exemples : A la question, « Quel métal se trouve à l’état naturel, le zinc ou le laiton ? »  Après quelques hésitations, un des candidats lâche : « Le zinc coûte cher, imagine une couverture de toit en zinc, c’est très cher. On ne peut pas le trouver dans la nature. Tu te vois tomber sur … Ah, tiens voilà du zinc là-bas ? » Quoi de plus logique que ce qui vous parait logique, tout droit sorti de votre cerveau ?

Ou encore, cet autre candidat face au dilemme : Quel est le dernier cycliste français à avoir remporté un Tour de France ? Hinault ou Fignon ? « Mais Fignon était plus jeune que Bernard, il a donc gagné la course plus tard… »

Autre exemple : Trouvez le site inauguré par Charles De Gaulle : L’aéroport de Roissy, L’aéroport d’Orly, Le Forum de Halles ou le Parc des Princes ? La dame s’interroge : « En quelle année De Gaulle a dit : Je vous ai compris »? Vous voyez un rapport, vous ?

Il arrive, aussi, qu’un candidat fasse étalage de sa connaissance parfaite de la réponse avant de répartir son argent sur trois réponses pour « assurer le coup » dit-il.

Finalement, on se demande si cette émission n’a pas été formatée pour placer les candidats dans l’embarras, avec obligation de raisonner à haute voix, alors qu’ils  ont la possibilité de dire « je ne sais pas, donc je joue au hasard ». Le but du jeu n’est-il pas d’amuser la galerie, celle qui se trouve devant le petit écran ? Tout simplement. Cela reste un excellent révélateur pour vérifier que « le penser par soi-même » est bien souvent fantaisiste.

Moralité : « Le bon sens est le mieux partagé dans ce monde et penser par soi-même » en prennent un sérieux coup dans l’aile lorsqu’on regarde cette émission.

 C’est à ce moment que l’on comprend que le silence est d’or lorsque la parole est une perle*.

Bien plus que devant un concept extravagant, on se trouve en pleine abracadabrance !

*Perle dans le sens de bêtise.

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