Ce sont les Basquères ?

Ou comment naissent les sobriquets.

Jadis, dans nos villages, rares étaient les familles qui n’étaient affublées d’un surnom. Les sobriquets patronymiques servaient de repères pour identifier les gens du village.

Nous étions quelques Simon et plutôt que nous différencier par notre patronyme, les gens utilisaient le surnom du père ou de la famille. On m’appelait Simon de Siki (surnom de mon père vainqueur d’un combat de boxe sur la place de l’église) ou comme mon grand-père paternel « Simonu vint’un annu »…  (« Simon vingt et un an ». On le surnommait ainsi, car il était petit de taille et se vantait d’avoir vingt et un an pour affirmer sa majorité afin que l’on cesse de l’embêter en le prenant pour un gamin).
D’ailleurs, plus tard, son épouse veillait sur lui et mieux valait ne pas le chambrer devant elle.
Avec son pistolet fourré dans sa robe, dès qu’elle sortait, n’hésitait pas à appuyer le canon sous le nez de qui l’importunait.

Dans notre quartier de la Navaggia, vivait un oncle menuisier, Zi Ghjuvanni Dominati. 
Sa famille était nombreuse et très bruyante.
Souvent en dispute, les cousins-cousines faisaient un tel remue-ménage dans l’alentour que les voisins les appelaient « i Bascheri ».
« Les ustensiles », en traduction littérale et « les ustensiles en mouvement » disait-on, lorsqu’ils se montraient plus inquiétants.

Les disputes étaient familiales et, parait-il, très impressionnantes. A tel point, que des voisins, malgré l’habitude, craignaient toujours des débordements incontrôlés et se rendaient séance tenante à la gendarmerie toute proche pour en avertir le maréchal des logis. En ce temps-là, la maréchaussée intervenait facilement sur le terrain pour rétablir l’ordre public.

Sans doute fatigués de rappels à l’ordre qui n’avaient aucune valeur pédagogique, ni dissuasive, lassés d’agir pour rien, les gendarmes ne se déplaçaient plus pour séparer des belligérants totalement inoffensifs.
Le chef de la brigade lévianaise, désormais moins enclin à faire patrouiller la compagnie, n’intervenait plus et se contentait de dire à l’estafette de service qui venait les prévenir :

« Ah, ce sont les Basquère !
Laissez-les faire ! »

On n’a jamais su si la rime, si parfaite entre Basquère et faire était intentionnelle ou accidentelle.
Pour qui connaissait cette famille, tout était résumé dans ce presque aphorisme.
C’est ainsi que se perpétuent les sobriquets, à la faveur d’une anecdote… 

Ces bruits d’ustensiles en mouvement étaient gênants pour les oreilles mais sans danger pour quiconque, aux yeux de nos pandores qui pouvaient se consacrer à fouetter d’autres chats plutôt qu’à mettre de l’ordre dans la vaisselle au moment de la plonge…

C’est en recevant la photo visible en titre, détenue par Jackie Valli, que me vint l’idée d’écrire ce récit. L’oncle est à gauche au deuxième plan.

Entre barbe, moustache et chapeau, une belle présence. Des amis de Carbini, Oronu et Livia se retrouvaient endimanchés devant une table minimaliste, sans cacahuètes ni olives, à siroter une boisson anisée jusqu’à faire pétiller l’œil.
Une fois l’œil vif, c’était signal pour se donner rendez-vous au même endroit, un de ces quatre autres jours du seigneur.

Voici l’oncle zi Ghjuvanni Bascheri (Dominati de son vrai nom) quelques années plus tard en compagnie de Zaïra et Jeannot.
Image extraite d’un film tourné chez nous par la radio danoise en 1962.
La radio, ça peut faire rire mais c’était bien elle qui faisait des reportages sur la vie dans nos villages.

4 Comments

  1. Oh joie et privilège de la dureté des familles nombreuses. Y a t il meilleure école de la vie ?
    Voilà comment, une anecdote, un incident, une caractéristique que vous voulez gommer, ou oublier, devient surnom, par dessus le nom.
    Zi Ghjuvanni en patriarche posé devait être une patte ; le regard de Jeannot est plein de malice et pétille en sa direction. Peut être raison pour laquelle, la tribu faisait orchestre.
    Encore une belle tranche de la vie villageoise corse ; toujours aussi bien écrite.

    1. En outre, vous êtes une fine observatrice, en effet le regard de Jeannot est rempli de malice.
      Je l’ai bien connu, il était ainsi… 🙂

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