L’autre versant au « caillou » : l’enveloppe.

Pour mieux comprendre le comportement de l’enfant décrit dans « Le caillou » voici un épisode révélateur d’une vie dans un carcan.

Les enfants devaient me remettre une enveloppe un matin. Tous l’ont fait, le plus simplement et naturellement du monde.

Ce jour-là, La mère de notre Petit Poucet était au rendez-vous, son fils à son flanc. Elle me tendit l’enveloppe avec un grand sourire puis montrant l’enfant du menton, elle me dit : « C’est pour lui ».  Je l’ai refusée poliment en lui expliquant que l’enfant pouvait la porter lui-même et que ce serait bien s’il le faisait le lendemain.

Dès 8 h 15, la mère était là dans la cour, avec l’enveloppe à la main et l’enfant toujours à ses côtés. Arrivée à dix mètres de moi, elle s’arrêta, me regarda, me fit signe d’attendre puis remit la missive à son fils. Il parcourut les quelques mètres qui nous séparaient d’un pas alerte et visiblement content de la mise en scène pour une remise en mains propres. Puis, il est reparti en sautillant vers les autres enfants.

Je tenais une enveloppe hermétiquement fermée, scotchée de sorte que rien ne puisse s’évader.

N’osant pas s’approcher de moi, la maman probablement sollicitée par sa névrose, me lança :
– « Il vous l’a donnée ? »
– « Vous ne l’avez pas vu ? » lui répondis-je.
-« Oui ! » puis elle s’avança vers moi.

Je lui tendis l’enveloppe en interrogeant :
-« Pourquoi ? »
-« Pour qu’il ne perde pas les pièces qui sont dedans, avec lui on ne sait jamais… »

Interdit de confiance, l’enfant était victime de la double surveillance. Celle de sa mère à quelques mètres, l’œil vigilant, et de l’enveloppe scellée. En attendant le feu vert, juste avant de venir me remettre ce que tous les autres élèves avaient fait sans la moindre histoire, il était sous apnée, attentif au « top départ ». Presque une remise de rançon avec tout un cérémonial préétabli.
Ses faits et gestes étaient cadenassés et sa révolte se jouait lorsqu’il était seul avec les autres enfants.

En montrant l’enveloppe, je lui dis :
– « Comment peut-il s’en sortir ? » 
– « Et s’il avait perdu l’argent ? » C’était son motif, son prétexte et non le mobile.
Il était inutile que j’ajoute quoi que ce soit, elle avait tout faux et le savait parfaitement. Elle était sous l’emprise de ses angoisses qu’elle déversait à seaux sur son enfant.

Une équipe spécialisée « s’occupait » de l’enfant pour le remettre de son état de désadaptation. Ils rencontraient la mère seule, aidaient l’enfant en le singularisant au regard de ses camarades, renforçant des convictions déjà établies par la réputation et personne ne se rendait compte que chacun jouait un rôle dans la cristallisation d’un cas. L’enfant n’avait strictement rien, il était victime d’une pression insupportable depuis qu’il était tout petit, cherchant sa respiration dans cette atmosphère étouffante.

De ce qui demandait une approche systémique entre enfant, parents, école et groupe d’aide autour d’une seule personne autorisée à faire l’analyse de la situation, il n’est resté qu’un émiettage inopérant, satisfaisant chacun dans son coin, persuadé d’avoir bien joué son rôle.

Cette histoire a été entretenue de toutes pièces, presque inventée, en tous cas bien nourrie.

Lorsque la bonne volonté devient satisfaction d’avoir tout essayé, on n’aide pas on gêne. On a beaucoup parlé mais pas beaucoup observé ni pris suffisamment de recul. On a juste soufflé sur un brouillard, non pas pour le dissiper, mais pour enfumer encore plus sans le savoir.

Certes, la « manœuvre » n’était pas facile mais on aurait pu éviter cet éparpillement car on ne fait pas un pain en recollant des miettes… et ça, c’est à nous les intervenants, de le savoir.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *