Soyez courageux pour aller au bout de ce récit, c’était un personnage, que dis-je, un philosophe de l’obscur…
Un esprit à sauts et à gambades, vous disais-je !
Comment choir sur Babunettu ?
C’est tout simple, il pleuvait et il m’a semblé le revoir avec son parapluie, c’est ainsi que je l’ai rencontré la première fois dans la rue principale du village.
Il n’en faut pas plus à mon esprit facilement vagabond pour faire un saut dans le passé sans être certain de trouver un lien entre tous ces éléments.
C’est bien cela être vagabond et avoir un l’esprit à sauts et à gambades, avoir des idées en vadrouille, parfois sans queue ni tête.
Des idées libres qui fouinent là où bon leur semble.
En traduction littérale, Babunettu signifie « petit père » ou plutôt « petit papa » car petit père a souvent une connotation péjorative, un peu pépère.
Ce jour pluvieux donc, il s’arrêta devant moi, me regarda longuement sans rien dire avec un sourire narquois. Il me faisait patienter, je voyais bien qu’il allait sortir une vanne, comme on dit aujourd’hui. Il avait l’âme d’un humoriste qui sait temporiser pour donner plus d’impact à sa « sortie ».
L’œil interrogateur, une moue légère puis les bras qui s’écartent en signe d’impuissance, il me balança :
– Chi fà ? A patata hè, u fasgiolu hè e tuttu hè !
Après traduction cela vous semblera ridicule, complètement fada !
Dans notre contexte villageois avec l’esprit qui régnait alors, cela relève presque d’une philosophie.
Une expression un brin dérisoire et pourtant chargée de sens pour avouer nos limites et l’importance de toute petite chose. Un sentiment mêlé d’impuissance et de besoin de petit pois chez soi.
Vous comprenez ? Non ? Pas grave, ça doit être plus compliqué que ça, alors !
Certains philosophes n’ont pas l’abord facile et souvent, lorsque c’est simple, on croit que c’est abscons.
Au fond, il faudrait éviter de traduire ce genre d’expression qui perd toute sa saveur en français.
Comme une presque lapalissade, il disait :
« Que faire ? La pomme de terre est, le haricot est et tout est ! »
Cette traduction strictement littérale vous déçoit sans doute, prononcée en corse elle garde tout son sel, son poivre aussi, elle est bien plus goûteuse. Il ne faut jamais traduire ce genre d’expression très singulière. Elle n’appartient qu’à un village, un quartier, elle témoigne d’un état d’esprit, d’un mode de vie qui n’existe nulle part ailleurs.
Chez nous donc, elle garde toute sa saveur comme un ficateddu que l’on grille dans la cheminée et perd son âme, cuit dans un four du continent.
Si vous occultez l’ambiance locale la pertinence s’évapore.
Tiens, je vais en profiter pour faire une digression. Ecarter les bras en signe d’impuissance, c’est à dire les écarter du corps puis faire claquer les mains sur les cuisses dans un mouvement pas trop rapide cela s’appelle « faire le pélican ».
Vous le saviez ? Non ?
J’ai bien fait de digresser.
Babunettu disait très souvent la même chose à chaque rencontre fortuite entre la Pergola et la fontaine de Vichy. C’était son espace de promenade oisive.
Allez savoir quel message il cherchait à faire passer. Je crois que c’en était un, car son regard goguenard en disait long sur sa malice.
Il aimait bien intriguer les gens et les laisser sur leur faim. Il disait et filait, sans plus d’explication, comme une sorte de Socrate parcourant les agoras qui vous abandonne dans le « connais-toi toi-même ». Il nous invitait à creuser ses pensées en procédant exactement à l’inverse de nos intervieweurs actuels qui vous posent des questions avec la réponse induite. Lui, vous laissait sur place à votre interrogation. Il suspendait inlassablement la même énigme au-dessus de nos têtes.
Au début, vous demeuriez dubitatif, un tantinet intrigué puis à force de le rencontrer, vous partagiez la même mimique et la même pensée en parfaite concomitance avec lui. Il réussissait toujours à vous faire prendre le pli et de concert, Paf !
« A patata hè, u fasgiolu hè e tuttu hè ! »
Sans doute pensez-vous que je vais trop loin et que je donne de l’importance à ce qui est insignifiant. Je vous assure que c’est ainsi que je percevais le personnage chaque fois que je le croisais.
C’est peut-être pour cela que je ne l’ai point oublié, j’étais adolescent.
Je regarde par la fenêtre ce ciel si bas qui chasse le temps, temps météorologique et temps qui passe. C’est une embrouille cette affaire de temps.
Babunettu, ancien marchand de chaussures était l’organisateur de la fête de la Saint-Laurent du temps de Gugus, di u bracci muzzu (le manchot, l’homme et non la machine), des courses cyclistes, des courses de chevaux à Ciniccia , des tournois de foot, du bal animé par des orchestres locaux et parfois venus du continent…
Les heures glorieuses de la Saint Laurent au village, mondialement connue en Alta-Rocca disait-on, alors.
Bizarrement les mots qu’il ressassait semblent avoir traversé les ans et sont encore d’actualité aujourd’hui.
Certains jeunes qui ne l’ont pas connu, répètent son expression sans savoir d’où elle vient.
Une expression mystérieuse passée dans la mémoire collective lévianaise.
Beaucoup le parodiaient, l’imitaient, mais combien se sont interrogés du fond des choses ?
J’ai le souvenir d’une personne au sourire permanent, un tantinet narquois, d’un homme qui regarde, écoute puis distribue sa dérision au tout venant de passage.
Il était en distance. Son visage est resté gravé dans ma mémoire parce qu’il était signifiant et ses mots, à priori dérisoires, me parlent aujourd’hui.
« A patata hè, u fasgiolu hè, e tuttu hè », n’est-ce pas simplement le résumé du temps que chacun peut consommer à sa guise ?
Ces petits bonheurs simples qui sont à notre portée à condition de s’ouvrir à la vie ?
Chaque chose a son importance du moment. Chacun voit midi à sa porte, chacun peut jouir de ses plaisirs secrets si minimes soient-ils… Des petits riens qui font un monde, qui font une existence et qu’on dédaigne trop facilement.
Babunettu doit esquisser un sourire en constatant qu’il vit encore dans ses mots qui se perpétuent.
Les jeunes sauront désormais qui les a semés…
Finalement, l’énigmatique Babunettu était bien philosophe puisqu’on l’étudie encore aujourd’hui et que j’en fais assez longue dissertation, ici…
Une philosophie qui véhicule l’énigme par un comportement énigmatique, une philosophie nouvelle de l’absurde sensé, de l’abscons limpide comme de l’eau de roche. Une philosophie de l’évidence opacifiée par l’expression obscure qui illumine pourtant la simplicité des choses de la vie.
A l’instar de La Palice on devrait pouvoir dire c’est une « babunettade », chaque fois qu’une idée est lancée, reste suspendue, lévite pendant des décennies, qu’on la répète inlassablement sans jamais en connaître la signifiance.
Peut-être, suis-je passé totalement à côté de son « message ».
Qu’importe, il me plait de le comprendre ainsi.
Avez-vous perçu ma complicité avec le personnage, ce côté pince sans rire et troublant à la fois ?
Eh bien voilà, c’est c’la !
L’image en noir et blanc dans le texte a été prise lors d’une soirée de la Saint Laurent à la Piazzona. et ci dessous, le nom de l’orchestre.
Oui je comprends, je crois qu’il faut avoir vécu en Corse un peu de temps pour saisir l’état d’esprit qui accompagne ce genre de phrases. J’en ai entendu quelques unes qui au départ ne me disaient rien et qui ont fini par avoir une certaine résonance au fil du temps.
J’entends encore des jeunes le dire sans en connaître l’origine, c’est ce qui a motivé ce texte.
joli : babunettade » ! à mettre dans le lexique franco/simonu
Bien vu Gibu ! Mais plus rare à rencontrer que lapalissade.
Ce texte ne doit pas plaire à beaucoup de monde, trop dense et pourtant il est rempli de dérision.
Je ne pense pas que cette version plaise aux villageois… J’étais, en l’écrivant, réellement en présence du personnage 😉
l’important est avant tout de vous faire plaisir lorsque vous écrivez….
Oui, mais c’est un plus 😉
Vous vous y connaissez en « manipulation » du blog pendant l’écriture ?
Par exemple comment mettre une légende directement sous l’image et solidaire de cette image, sans devenir texte normal. J’ai perdu cette fonction sans savoir comment c’est arrivé.
Changer la police d’écriture aussi.
Avec un peu de chance vous savez 😉
Vous servez-vous des « blocs ou de l’éditeur classique ? j’essaye de continuer avec le classique lorsque je le trouve…. pour les images je regarderai lorsque j’aurai l’occasion d’en publier, c’est vrai que je mets le titre en dessous comme un texte…….. je ne suis pas un foudre de guerre 😀
Blocs, je crois, parfois des changements interviennent sans que j’agisse sur quoi que ce soit.
Bon, laissons tomber, entre non-foudres de guerre point d’éclairs 😉
Merci Gibu, bonne suite.
Plaisir de faire connaissance de Babunettu ; ce petit nom rend déjà la tendresse du personnage.
Très actif, organisateur d’évènements pour le plus grand nombre, et marchand de chaussures (ah! les pieds chaussés) : peut être est-ce toutes les longueurs parcourues entre le foisonnement de l’élan, de l’envie et l’implacable réel du résultat, du retour qui a fait choisir cette maxime profonde à Babunettu.
Il avait peut être une âme trop grande pour le réel du monde et la sagesse de l’accepter.
Une très belle rencontre, merci.
Merci à vous Sylvie pour tous vos commentaires à l’humeur primesautière ! 🙂