Versant papa, nous étions originaires de la partie haute du village.
Grand-père Simon et grand-mère Julie, que je n’ai pas connus, étaient inséparables m’a-t-on raconté.
On les rencontrait toujours ensemble du côté de l’église, le plus souvent, où l’aïeul œuvrait quasiment à temps complet, faisant office de sacristain.
Julie originaire de la plaine côté Porto-Vecchio, camp des Marchi, n’était pas une première communiante dans l’âme bien qu’elle fut pratiquante assidue de la sacristie, aussi.
Elle ne sortait jamais sans son pistolet caché sous la jupe, n’hésitant pas à coller le canon sur le nez de celui qui chahutait son mari.
Une sorte de tromblon en réduction qui se chargeait par le canon et faisait feu grâce à un chien qui frappait l’amorce. Longtemps cette arme qui symbolisait l’honneur de la famille a trôné au-dessus de mon lit lorsque je vivais avec ma tante.
Simon pouvait dormir tranquille, celle qui portait la robe lui assurait le pantalon.
Par tradition, je porte le prénom du patriarche, c’était une coutume de prénommer ainsi le premier garçon de la famille.
J’ignore quels étaient leurs revenus, personne ne m’en a jamais parlé.
De cette union naquirent six enfants.
Quatre garçons dont un fut tué durant la dernière guerre et deux filles.
Seuls, papa et tante Marie, les deux analphabètes de la famille restèrent au village, les autres prirent le large sur le continent pour y vivre toute leur vie. J’ai quelques cousins germains dispersés de l’autre côté de la méditerranée, dont j’ignore les prénoms et qui méconnaissent mon existence, je présume.
Une anecdote marquante à ce sujet, mon père passait quelques jours d’hiver chez moi à Versailles et mourait d’envie de revoir son frère Jacques qu’il n’avait revu depuis soixante ans. Il sentait la fin proche et ne voulait partir sans le voir une dernière fois. Les billets en poche, père et mère prirent le train pour faire surprise au frangin de Corrèze. Arrivés à Uzerche, un taxi les conduisit jusqu’au domicile du frère, une foule s’était regroupée autour de la maison, c’était le jour des funérailles de l’oncle Jacques.
Un coup de théâtre assommant qui laissa père dans une profonde tristesse et un regret inconsolable.
Durant son enfance papa Francescu rêvait de garder les chèvres dès la maternelle.
Il passait son temps à pincer ses camarades ou les embêter à longueur de journée de sorte qu’il obtint son bac à la petite école. Très en avance, le processus scolaire s’accéléra, on le dispensa de CP pour le sortir du bac à sable. Il était heureux, parait-il, de surveiller le petit troupeau de caprins.
Il apprit à lire la nature en gambadant avec ses chèvres sans jamais ouvrir un livre de sa vie, c’est sans doute ma part héréditaire puisque j’ai procédé de la même manière, en boudant les bouquins.
Bien plus tard, après l’armée, il obtint son bâton de maréchal en décrochant un emploi de spazzinu (balayeur des rues du village). Je sais qu’il gagnait cinq francs par jour et améliorait le quotidien en travaillant dans le jardin des autres et tenant le sien au rythme des saisons. J’ai raconté, par ailleurs, son histoire en compagnie de son âne Roland.
Pour le reste, il m’a accompagné dans ma triste campagne scolaire entre échecs et réussites bien tardives.
Je l’appelais « pauvre Martin, pauvre misère » qui, « retournant inlassablement le champ des autres », rêvait de prendre sa revanche sur la vie à travers mon parcours scolaire, très chaotique jusqu’à la troisième. Il m’encourageait à bien suivre en classe, m’enfermait dans la chambre pour que je fasse mes devoirs, incapable pourtant de vérifier mon travail. Il se comportait en cocher dirigeant une charrette débridée qui bondissait sur un chemin caillouteux.
Il s’en est allé tranquille, presque apaisé, en sachant que j’étais sur les bons rails…
Ma maison porte son nom ou plutôt son sobriquet, on l’appelait Siki à la suite d’un combat de boxe gagné sur la place de l’église devant une assistance nombreuse.
Avec papa et maman, nous déménagions souvent. Nous avons quasiment fait le tour du village avant de trouver le bon logement.
Une installation définitive dans une petite maison à la Navaggia, mon quartier natal.
Tante Marie la sœur de papa, veuve de guerre, était la plus « fortunée » de la famille restée au village. Sa pension de guerre, comme on disait, ruisselait un peu sur ses proches. Elle me choyait m’offrant mon premier transistor en bakélite blanche acheté chez Valère. Un poste robuste sensé capter Varadicciu, un petit village engoncé dans un val, aux dires du facétieux marchand de quincaillerie et autres appareils ménagers.
C’est avec elle que j’ai passé une bonne partie de mon adolescence.
Ses enfants partis au service militaire puis gagner leur vie, je lui tenais compagnie.
Elle avait pris la succession de ses parents à l’église, sacristine générale et sonneuse de cloches en chef, spécialiste du glas, de surcroît. Tout le village reconnaissait sa patte puisqu’elle tirait des cordes, au tintement du bourdon dont elle avait le secret.
J’en ai servi des messes et combien de fois suis-je passé par confesse ! L’office n’avait aucun secret pour moi, je pouvais remplacer le curé en cas d’absence ou de maladie mais on ne fait pas appel aux enfants pour cela.
Marie en bonne trotteuse distribuait les télégrammes au village, vivait dans l’obscurité, souvent au coin du feu à négocier avec le divin. Elle l’implorait à longueur de journée et même la nuit, pour qu’il veille sur nous tous. J’entendais ses doléances insistantes et Dieu l’accompagna pour longue vie… elle s’endormit une nuit, lâchant son dernier souffle dans son sommeil, totalement apaisée.
A midi, je mangeais chez ma grand mère, fondatrice de mon art culinaire, et le soir chez elle qui ne savait pas cuisiner. J’avais pris l’habitude de dire avec une pointe d’humour, à midi, je déjeune chez Bocuse et le soir, je dîne chez Cassegrain.
Je me sentais protégé par le bon dieu jusqu’à ce que je lui fasse faux bond en basculant dans l’agnosticisme. Je me suis installé dans le doute agnostique entre le oui et le non, totalement enrobé de « Que sais-je ? ». Dans l’ignorance de tout, j’ai mis l’idée de dieu en jachère.
Voilà comment, tapi dans l’ombre de ma famille, j’ai pu trouver un peu de lumière.
A aucun moment, je n’ai eu le sentiment d’avoir souffert de quoi que ce soit, une vie heureuse, même si vue de loin, elle semblait misérable et laborieuse.
Vivre dans une telle famille fut ma chance, une chance qui m’a poursuivi jusque là.
Les défunts vivent longtemps dans l’esprit des vivants.
Je porte encore leur souvenir et perpétue notre vie qui fut belle et chaleureuse.
Bisaïeux, aïeux et ascendants directs, des racines solides impossibles à éradiquer…
Bonjour Simonu,
Merci pour ces belles histoires familiales, à l’authentique fraîcheur… nonobstant les années. 😉
Très bon dimanche.
Cat
PS : Sans le savoir, je vous imaginais volontiers enseignant ou libraire… Me voilà informée. 🙂 Quelle matière avez-vous enseignée ?
Bonjour Cat,
C’est une longue et chaotique histoire que j’ai racontée dans ce blog.
Tour à tour prof de sciences naturelles, tombé dans une école d’application pour faire recherche en mathématiques puis balancé pour découvrir une nouvelle fonction encore inexistante.
Un nouveau métier de psychopédagogue avec la mise en place des premiers groupes d’aide psychopédagogique dans la région parisienne, me formant sur le tas quasiment tout seul par la pratique sauvage avec peu d’informations et formant par la même occasion l’inspecteur tous les soirs après le travail…
La profession naissait du néant et j’ai été retenu pour la première formation du genre, à l’école normale de Versailles alors que j’étais trop jeune et ne répondais à aucun critère pour être choisi. J’étais tout de même un des tout premiers à créer cette voie… Bref, disons que j’ai été le plus chanceux du monde.
Je n’ai donc pas longtemps enseigné, j’ai « rééduqué » (le terme me semblait impropre, je lui préférais « guider ») des enfants en souffrance, je tentais de les mettre sur les bons rails..
Voilà grosso modo mon parcours qui fut bien plus riche que ce modeste résumé.
Libraire c’eut été difficile pour moi qui n’ai pas lu un livre de ma vie. Quoique, j’aurais pu être cette exception.
En revisitant mon passé, rien ne m’étonne plus, tout pouvait m’arriver.
Bon dimanche Cat 🙂
Bonjour Simon,
Merci pour le résumé de votre magnifique parcours.
Quand je pense que vous parliez de « Versailles », pour mon blog et d’une vie trétrépidante », pour moi, qui ne me suis jamais reconnectée à ce que je suis, n’aie fait aucune des études qui auraient pu me plaire et qui suis engluée, depuis trop d’années, dans un poste sans correspondance qvec mes aspirations, mon être complexe. Je n’y suis que l’aimant de personnes toxiques…
Au regard de votre talent, vous pourriez réunir toutes vos histoires dans un livre. Votre plume légère, si séduisante et charmante, attirerait à vous les commentaires flatteurs que vous méritez.
Voici, à titre indicatif, le lien d’Emmanuelle Soulard : https://ecrire-un-livre-accrocheur.com/
Qu’en pensez-vous ? 😉
Cat
Bonjour Cat,
Votre commentaire est sympa, ce sujet a déjà été soulevé par d’autres et je n’ai pas l’âme d’un écrivain « à livre », si je puis dire.
Quelle bizarrerie que d’écrire un livre alors qu’on n’a pas lu un livre de sa vie, quoique cela peut-être une curiosité aussi, et je n’en suis pas à un paradoxe près.
Ne me suis-je pas nommé mystère Simon à l’interpellation de mister Simonu par une lectrice ?
J’envisage, mais je tarde beaucoup à le faire et le temps aura raison de mes atermoiements, à publier le recueil de portraits d’enfants que j’ai suivis en rééducation, un regard sur la vie plus que sur des parcours scolaires.
J’écris au vent de ceux qui veulent bien me lire.
Je vais garder l’adresse que vous indiquez et réfléchirai une fois de plus, peut-être ai-je besoin qu’on me botte les fesses mais je ne suis pas de ceux qui se laissent faire 😉
Merci Cat, une nouvelle fois, pour votre sympathie que je ne mérite pas en boudant tous les autres blogs. Cela me vaut « boudages » en retour, c’est bien normal et j’ai expliqué les raisons de mon peu de goût pour la lecture 🙂
Une bonne journée, un coup de Mars et ça repart !
Bonjour,
Nous avons au moins deux points communs: des origines corses (pour partie pour ma part) et le peu d’intérêt pour les livres ….
Je suis né à Paris et ai découvert la Corse à 10 ans. Depuis j’aime la Corse et je pense très fort qu’on ne peut pas ne pas aimer la Corse.
Bon dimanche
Gérard
🙂
Je me sens moins seul, j’ai mis beaucoup de temps à avouer cette carence et époustoufle bien des gens en la révélant.
Bonne fin de dimanche.
Nous ne sommes pas déçus de ce chapitre 2. Un récit plein de tendresse de cette famille qu’on s’approprie presque au fil des récits ! une famille dont on peut être fier quoi qu’il en soit.
Chez nous la porte était toujours ouverte, on y entrait avec plaisir et si c’est le cas dans mes récits, alors, ça se perpétue 😉
Bonne soirée Gibu.