Nos jardins se succédaient sur la rive en suivant la ligne du torrent.
Il existait un amont pour chaque parcelle de sorte qu’il était possible de faire dérivation du cours d’eau pour réaliser l’arrosage des potagers.
C’était simplissime, facile à réaliser et tombait sous les sens. Le bon sens paysan.
L’image est séduisante, et si comme on détourne une rivière, on pouvait dévier le temps !
Comme on conduit le cours d’un ru à irriguer un champ, après méandres et méandres, arrêts et déviations, si l’on conduisait le temps ?
L’emmener en promenade, explorer toutes les minutes, toutes les heures et tous les jours féconds.
Balayer l’ennui en meublant chaque instant, nourrir le plaisir, produire l’essentiel à remplir une vie. Par contraste afin de donner du jus à l’envie, faire le contraire, s’ennuyer un peu mais pas trop.
Occuper l’espace en faisant circuler ses idées, promenant ses pensées hors du champ visuel pour conquérir des images inconnues, fabriquer des mirages, parcourir des territoires lointains qu’on ne connaîtra jamais.
L’imaginaire a grande capacité à courir ce que l’on ne peut faire physiquement. C’est une grande aubaine si l’on sait en jouir.
Voyager au gré de l’humeur en première ou dernière classe, prendre l’avion, le bateau, le train, se donner le pouvoir de dépasser sa condition, surpasser le riche qui n’a qu’à fouiller dans sa poche, sublimer son esprit.
Voyager sans aéroplane ou sans rails avec un avion, un train dans sa tête.
Se délecter de produits exotiques dans les bas-fonds de Manille, humer le poisson ou la viande boucanée dans une forêt nordique ignorée du monde.
Se « robinsonniser » le mardi sans attendre Vendredi, perdu au milieu de la foule, parler tout seul sans un mot pour les autres et bombarder le monde de paroles lorsqu’on se croit isolé, perdu, désemparé.
Crawler dans l’océan sans savoir nager, piloter une formule1 sans savoir conduire, planer dans la montagne sans savoir voler.
Deviner sans être devin, prendre et laisser sans posséder, aimer pour le plaisir sans phagocyter l’autre.
Filer dans les étoiles, fouiller l’Univers, vaincre ses feux et ses mystères.
S’asseoir sur un nuage pour regarder le monde en plongée, habiter le Paradis, un Eden inventé juste pour y vivre un instant ou de longues heures en répétant la scène.
On ne dompte pas le temps mais on peut toujours essayer de l’apprivoiser en truquant, en envahissant l’espace comme le fait un blob. L’imaginaire est suffisamment puissant pour investir l’espace virtuel en laissant croire qu’il dirige le temps.
Un peu de folie, un brin de magie, une once de poésie au risque de passer pour un aliéné…
Qu’importe ! Seuls les fous sont capables de détourner le temps.
Et n’allez pas dire que j’élucubre, que je raconte des bobards, que je suis un imposteur… La vie est une imposture !
Qui sait ce que nous faisons là ?
Sans monter sur les planches, je ne cesse de jouer comédie pour embellir ma vie !
Un temps que vous remplissez à merveille, merci pour ces voyages qui nous emportent si loin dans le rêve 🙂
Il y aura une suite au temps en fin d’après midi 🙂
J’aime beaucoup le parallèle avec le détournement de l’eau 🙂
Egalement, c’est ce qui a motivé tout le texte.
J’ai d’abord pensé à l’eau qu’on déviait pour en faire œuvre utile et j’ai pensé pareil pour le temps.
C’est parfait d’avoir détecté ce sens voulu 🙂
Le laisser faire, Le Temps…
Bien sûr, comme le cour d’eau dévié aux jardins, pour l’utile, le nécessaire, l’apprivoiser vu que pesanteur nous sommes. Bien sûr, en jouir, en jouer, le surfer, le remplir, ne pas le voir s’écouler.
Surtout le regarder avec attention, avec la conscience que c’est lui qui nous sculpte nous polit ; l’aimer avec toute la déférence due à son infini mystère.
L’accueillir bras ouverts avec toutes les surprises qu’il voudra nous réserver, sublimes ou terribles.
Le temps n’est pas que durée, il est tellement plus : peut être la mesure incarnée, pour nous petits hommes, du privilège d’exister. Etre comme lui Présent.