Charlot et moi.

Charlot était mon grand oncle côté maternel.

L’homme était solide plutôt irascible, mieux valait l’avoir dans son camp que contre soi.

Très craint au village, ses virées nocturnes faisaient le vide dans la rues.
Il vivait de braconnage et d’entorses à la loi, une sorte de rebelle très remonté contre la maréchaussée.

Un homme libre et dur mais fidèle en amitié, il ne trahissait jamais sa parole, se méfiait de tout inconnu comme de toute personne qui cherchait à le mettre à la raison.

Il portait une certaine tendresse à ses petits neveux, volontiers protecteur avec son côté intransigeant chaque fois qu’il nous embarquait, mon frère et moi, dans une sombre aventure de pêche ou de chasse.

Je vais vous raconter quelques anecdotes pour dévoiler quelques-unes de ses facettes.

Tonton, c’est ainsi que nous l’appelions, avait un passé parisien qu’il a gardé secret. Une part d’ombre assez opaque puisqu’il n’en parlait jamais et qui ressortait lors de ses libations, le poussant à chanter « L’amant de Saint Jean » dans sa version toute personnelle.

« Ha, ce qu’il était beau le barbeau de St Jean, il ne m’aime plus et moi non plus n’en parlons plus… » Le ton était donné, il livrait sans le savoir un indice sur sa part d’ombre.

Ce chant qui lui rappelait sa vie à Paname, le rendait nostalgique, triste et très irritable, mieux valait ne pas trop le tarabuster dans ces moments de douleur ravivée. Il y avait laissé femme et enfant.

Durant toute une partie de sa pleine force, il sortait la nuit ou très tôt le matin, on le voyait rarement le jour.
Quelques fois, il m’emmenait à la pêche interdite ou à la chasse. J’étais mort de trouille, il narguait le garde-pêche lorsque nous le rencontrions sur la route. La musette remplie de truites, il le saluait de manière ostentatoire, il savait qu’il passerait sans le contrôler.
L’hiver, lorsque les jours étaient bien dégagés nous partions très loin en direction du versant de la montagne exposé au soleil hivernal. Il savait que les ramiers aimaient bien se réchauffer aux rayons matinaux. Nous démarrions bien avant le lever du jour, il allumait un feu pour faire griller du figateddu, nous nous sustentions dès notre arrivée puis nous nous postions en attendant le passage des premiers pigeons. Je faisais le plein d’émotions mêlés de crainte indéfinie comme de surprise en voyant un premier vol se diriger vers nous.

J’ai essayé de comprendre son mode de vie, sans jamais porter de jugement, sans jamais intervenir. J’ai été spectateur et très peu acteur car l’homme était rude et n’aurait rien accepté qui contrariât son originalité. Avec cette « méthode » d’écoute sans interventionnisme, il lâchait du lest, s’intéressait à l’autre. Il m’interrogeait sur ma vie hors d’ici, si je vivais bien… et se livrait un peu.

S’il avait un différend avec quelqu’un, il le traitait d’homme à homme, au grand jamais, il ne se serait adressé à la gendarmerie.
Son rapport à la société était très singulier, il gardait ses distances et se méfiait de tout le monde. Ses amis étaient rares et ceux-là pouvaient compter sur lui.

Voici quelques comportements que j’ai pu remarquer en le côtoyant dans nos rapports familiaux.

Lorsqu’il obtint, tardivement sur des conseils avertis, une pension d’invalidité pour blessure de guerre, son nez avait explosé sous une balle et avait été refait avec un prélèvement effectué sur une fesse, son rapport à l’argent a radicalement changé. Il ne parlait jamais de sa blessure que l’on remarquait à peine puisque sa réparation était plutôt réussie. Il n’en portait que des séquelles respiratoires, le visuel en souffrait peu.

Tous les trimestres l’argent arrivait, en espèces, par la poste. Le facteur, toujours bien venu ce jour-là, en profitait pour boire un coup.

Avec sa pension militaire, il avait l’impression de posséder un magot, c’était d’ailleurs son langage, sans doute des restes de son passage dans la capitale. Il était devenu méfiant pour protéger ses économies. Il gérait son trésor comme un pirate, pour rien au monde il n’aurait confié son argent à la poste ou à une banque. Il planquait les billets dans le rembourrage des chaises dont il cousait le tissu protecteur. Je l’appris un jour de veillée chez lui, il me racontait que les rares personnes en visite étaient assises sur sa fortune sans le savoir. Le plus gros de ses économies était enseveli dans sa cave. Il avait creusé un trou dans le tuf, déposé une boîte métallique remplie de coupures trébuchantes mais non sonnantes qui remplaçaient les biscuits, l’avait recouverte de terre avant d’entreposer quelques muletées de bois de chauffage bien rangées. Personne n’aurait imaginé que son coffre-fort dormait là, sous un tas de buches.
Un soir de réveillon de Noël, invité à veiller avec nous, nous le vîmes arriver avec une musette et le fusil chargé en bandoulière. La musette était remplie d’argent, il transportait avec lui les billets non planqués.

Malgré sa richesse nouvelle, il dépensait très peu. Lui qui n’avait peur de rien redoublait de méfiance, voyait des voleurs partout et se montrait parfois menaçant. Il avait perdu sa tranquillité comme le narrait La Fontaine dans « Le savetier et le financier ». Il se postait devant sa porte fermée, juste poussée, assis sur une chaise, le fusil sur les genoux. Si quelqu’un débarquait à l’improviste, il le mettait en joue, le temps de le reconnaître.

Un jour, un homme en costume et portant cartable est venu frapper à sa porte, il a failli mourir de trouille.
– Qu’est tu viens viens faire là ?
– Je viens pour un contrôle, dit-il en tremblant.
– Qu’est ce tu vas contrôler ?
– Je viens pour une augmentation de votre pension !

Charlot, retrouva le sourire et invita chaleureusement l’homme à entrer. L’idée d’augmenter sa cagnotte l’avait ravi.

Tout se passa bien, le contrôleur lui promit que sa demande avec les complications indiquées par le médecin, sera prise en considération. L’oncle, totalement transporté par la bonne nouvelle, lui aurait donné sa chemise. Le visiteur repartit avec un fromage et une bouteille d’eau de vie.

Il était ainsi.

Malgré les moyens de faire repeindre son petit deux pièces minuscule, il tapissa sa chambre avec du papier journal et s’était proposé pour tapisser la mienne, toute neuve, de la même manière.

Il s’était assagi en vieillissant, dépensait un peu plus facilement, je le voyais débarquer le matin très tôt avec dans sa musette des gâteaux et un jambon lorsqu’il était invité pour le midi. Il allait à la pâtisserie dès l’ouverture pour choisir ce qui lui faisait plaisir.

Après ses frasques nombreuses et pendables, il se montra plus sociable.

Tonton Charlot consentait à me raconter quelques unes de ses aventures lorsque je revenais en vacances. Ses braconnages, j’étais au courant, il m’avait embarqué quelques fois avec lui, à deux ça allait plus vite, mais lorsque le danger lui semblait plus probable, il partait seul, jamais il ne m’aurait embarqué dans une aventure risquée…

Voici une partie de son palmarès.

Un gendarme poussé dans la rivière lors d’un contrôle, le deuxième presque assommé, il s’était enfuit avec une entaille profonde au tibia.

Il savait qui était la balance, s’était introduit chez l’homme vers minuit, subtilisa son fusil sous le lit durant son sommeil, fracassa l’arme sur un rocher et déposa les débris sur le seuil de sa demeure.

En cavale, jamais trouvé alors qu’il était planqué au milieu du village, les gendarmes eurent besoin de lui pour mettre à la raison un de ses amis, armé et menaçant sur la voie principale vers minuit. Sa compagne qui le nourrissait en cachette mais rusée comme un sioux pour éviter tout repérage, le rencontra à la demande de la gendarmerie. Il accepta de parlementer à la condition de repartir libre. L’affaire fut conclue, son opération échoua puisque son ami, approché, refusa de se rendre, il repartit libre… Le rebelle fut arrêté avec une balle dans la cuisse.

Pour apaiser l’atmosphère et sur intervention des autorités municipales auprès de la gendarmerie, il revint à la vie normale sans être inquiété. Un pacte tacite de non agression mit un point final à sa longue vie de hors la loi…

Désormais, il vécut comme un villageois tranquille mais toujours à l’écart de toute civilité citoyenne.

Dans notre petite salle à manger/cuisine, grand-mère était au tympanon*, nous n’avions pas encore de piano 😉

*Tympanon = ancêtre du piano.

Le petit plus qui n’a rien à voir :

Les martiens sont au courant de tout et parlent de Pâques dans leur langage imagé, ces choses n’existent pas chez eux, alors leurs mots sont des images 😉

5 Comments

  1. Je le connaissais (pour avoir lu ici son histoire) c’était un sacré personnage haut en couleur, comme malheureusement il n’y aura plus…
    Si je comprends bien il va falloir se méfier des martiens s’ils volent nos oeufs et nos cloches 😉

    1. A court d’idées, j’ai retracé le portrait sous un autre angle sans relire le précédent.
      Bonne suite Al.

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