Je suis un adepte de l’écriture spontanée.
Je m’écarte franchement des définitions habituelles : écriture destinée à l’introspection et parfois même comparée à l’écriture automatique dictée par une entité astrale ou d’un autre monde. Ce n’est pas ça du tout.
J’appelle écriture spontanée, un besoin de passer à la rédaction d’idées qui m’assaillent soudain, sans aucune sollicitation préalable. C’est comme une envie de café, de sucrerie, de fumer, une envie soudaine qui vous attrape. Mon addiction quotidienne c’est l’écriture.
Le thème n’est jamais pensé, il surgit et me voilà embarqué sur son chemin comme par enchantement. Certes, les sujets ne naissent pas du néant, ils sont induits par un geste, une parole, une attitude, la remarque de quelqu’un aussi, et d’un coup, les méninges se mettent en mouvement alors qu’elles semblaient sommeiller profondément.
Le plus étonnant dans mon addiction à ce genre d’écriture c’est que je n’ai jamais lu un seul livre de ma vie. Je n’ai jamais réussi à aller au bout d’un ouvrage quel que soit le genre. Après quelques pages j’abandonne. Mes plus solides tentatives ont toujours essuyé l’échec.
Quelques pages, quatre ou cinq pas plus, c’est déjà beaucoup pour moi.
Au mieux, je commence par la fin, j’ai l’impression que tout se résume là et que le parcours préalable n’était que déambulations pour rendre l’histoire plus attrayante ou plus mystérieuse. Le plus souvent, je lis en diagonale, je pioche dans des pages sautées par pincées, je ramasse des indices, je crois avoir compris l’essentiel.
« Le plus étonnant » disais-je, ce n’est même pas surprenant car lorsqu’on connait ma vie, on peut comprendre ce cheminement atypique.
Je fus un lecteur tardif et mon apprentissage laborieux, très laborieux me conduisit à faire des choix dans mon approche du lire.
Souvenez-vous, vous qui me lisez de longue date, c’est ma mère qui lisait les livres de bibliothèque à ma place et m’en résumait le contenu. Qui lisait les livres, c’est beaucoup dire, elle a lu le premier seulement et ce fut sans doute le seul aussi pour elle qui préférait le « Nous-deux » que d’autres mettaient à la poubelle. J’eus besoin de cet appui stratégique, une fois seulement. De la sorte, je condensais son résumé, le dénaturais forcément, pour finalement m’éloigner de la teneur de l’ouvrage. C’est comme la parole rapportée, en troisième répétition, il ne reste plus grand chose du « dit » original.
Cela mettait la puce à l’oreille du prof qui me demandait si je lisais vraiment. Intrigué par mon « interprétation » du récit.
Il n’a jamais su que je ne lisais pas, parfois, il a dû s’interroger sur ma santé mentale, ou, plus légèrement, sur mon énigme car en quittant la troisième, il m’a prédit :
– Tu ne seras jamais bon en français !
Par la suite, puisque le passage par la bibliothèque était obligatoire, nous devions faire tout un travail écrit – c’était une bonne idée – je ne choisissais que les livres lus par mes camarades de classe, je m’appuyais sur leurs résumés afin de fabriquer le mien…
Je pense avoir cultivé le goût de l’analyse et de la synthèse. Il fallait bien que je m’en sorte d’une manière ou d’une autre sinon j’aurais capitulé en écourtant ma scolarité, l’abandonnant au sortir de la troisième.
Tous mes textes de ce blog paraissent calibrés et répondent quasiment au même format. Un jour, me questionnant sur cette habitude, j’ai pensé que c’était ma manière de ne pas ennuyer le lecteur en proposant exclusivement la taille « nouvelle ».
(Jusque-là, je n’ai fait que recopier, en la modifiant légèrement, la première partie d’un texte intitulé « L’écriture spontanée.)
Comment en suis-je arrivé là ?
Je pense que l’intervention de Denise, une voisine, a donné une direction nouvelle à mon parcours scolaire.
Très en difficulté avec la lecture après un apprentissage laborieux et très long, une lecture chaotique et encore syllabée à l’âge de quatorze ans, Denise me voyait galérer. Elle a sans doute décelé quelques possibilités bridées, puisqu’un jour, alors que j’étais seul, elle m’offrit en cachette le vieux dictionnaire de son frère.
Marco, me dit-elle, ne s’en sert plus, je te le donne en secret, n’en parle à personne, je lui ferais croire qu’il l’a perdu.
Ma voisine devait avoir une trentaine d’années et son frère était plus âgé. Le dico daté du début du siècle dernier présentait des signes de vieillesse, pages cornées, froissées ou déchirées mais était encore bourré de vitamines pour mes maigres connaissances.
Je l’avais caché sous le lit, le ressortais tous les soirs au coucher et le compulsais sous le tipi de mes draps, formé avec mes genoux, à lumière d’une lampe de poche.
J’ai commencé par m’intéresser aux mots illustrés, c’était plus facile pour moi. L’aide du dessin était précieuse. Ainsi, je volais de découverte en découverte, je faisais le plein de mots nouveaux, je remplissais ma hotte de vocables inédits, j’enrichissais mon vocabulaire avec un plaisir croissant.
La curiosité grandissant, je me suis aventuré vers les mots abstraits dépourvus d’illustration. La lecture concise et précise des définitions me formait à la synthèse, je découvrais les notions abstraites, l’expression des émotions et me formais à la description des sentiments.
De la sorte, j’ai accumulé un nombre incalculable de noms communs et de noms propres. Avec ces derniers je découvrais l’histoire, ma bête noire en classe, à travers des résumés très brefs, un portrait, une anecdote, le tableau d’une bataille célèbre.
Le dictionnaire de Denise dont je revois encore le sourire à mesure que j’avançais dans les études, peut-être avait-elle deviné l’impact de son geste sur la suite de ma scolarité, fut mon unique ouvrage de lecture assidue.
Personne ne savais, j’ai gardé le secret. Je m’étais arrangé, sachant à quel moment ma mère passait le balai sous mon lit, je brouillais les pistes pour que ce pavé chargé de trésors reste inconnu de tous…
J’ai passé et réussi tous mes examens sans jamais lire un livre. Je me souviens de ma dernière année de formation, la même que celle d’un orthophoniste, une femme prof de psychanalyse nous avait imposé une bibliographie très fournie, à remplir plusieurs bibliobus. En regardant la liste, il me vint à l’esprit qu’avec tous ces ouvrages j’aurais pu construire les murs d’une maison. Avec le séisme qui s’en suivit dans mon esprit, la maison s’effondra ne laissant que des ruines.
Totalement découragé, presque effondré devant l’impossible lecture, j’ai demandé une entrevue à la fin de la séance pour annoncer ma démission. Nous avions déjà assisté à ses cours et avions deux mois pour démissionner en cas de difficulté majeure.
Très surprise la dame me dit :
– Oh ! Jeune homme ne faites surtout pas ça, vous êtes un des rares à animer mes cours… Ne dites rien à personne, je vous dispense de ces lectures, on s’arrangera comme ça…
A la fin de ma formation, elle notait comme appréciation de mon année sur la partie concernant sa discipline : « D’une authenticité remarquable ! »
Rien de scolaire dans son regard, elle avait tout compris.
Concernant les autres profs et les autres disciplines, je n’ai rien lu non plus, tout le monde l’ignorait.
Je compensais beaucoup par mes grappillages et mon implication de tous les instants. J’aimais la vie et la vivais pleinement.
Voilà, le « comment » de mon écriture spontanée.
Le « pourquoi », je l’ignore, c’est sans doute une affaire intérieure qui reste profondément cachée 😉
le pourquoi s’explique sûrement par une « parce que » 😉
Le « parce que » est une inclusion du « pourquoi » beaucoup plus complexe allant jusqu’au métaphysique. 🙂
Bonne spirée Gibu.
bonne soirée Simonu, Aristote et Kant ne hanteront pas cette soirée malgré tout 😉
On en a déjà parlé et je comprends votre cheminement méritoire malgré un départ plus que compliqué. Pourtant je bloque un peu parce que la lecture est une incroyable ouverture sur le monde, sans parler de l’écriture en elle-même que je savoure chez certains auteurs, des écritures ciselées où la moindre virgule, le moindre mot n’est pas placée par hasard. Pour moi le récit est étroitement lié à la qualité de l’écriture et je trouve que vous passez à côté d’un grand plaisir. Et j’ajoute que c’est rageant de voir la qualité de la votre alors que vous n’avez jamais lu, décidément je crois qu’il y a une sorte de micro climat magique du côté d l’Arastaca 😉
C’est simple Al, ce n’est pas un rejet ni un refus de lire mais des séquelles d’un apprentissage difficile.
Une capacité à lire plus limitée que pour le commun des lecteurs à l’apprentissage normal.
Certains s’adaptent effectivement mais cela dépend des cas, je l’ai éprouvé avec d’autres, ce fut mon activité principale.
Je lis des articles scientifiques surtout et le reste en diagonale que je préfère aux livres. C’est un peu la raison de mon roman en panne, vous en connaissez le départ puisque vous m’avez conseillé de le retirer du blog… Je n’ai pas l’impression d’être fermé au monde, bien loin de cela… Comment écrire un livre alors qu’on n’en lit pas ?
Mes formats limités me conviennent mieux.
Rassurez-vous, je ne me prive d’aucun plaisir, j’en suis assailli de toutes parts et celui de la lecture trop longue ne me va pas, je préfère la diagonale et le grappillage, c’est mon fonctionnement.
Pour le microclimat, je le concède, il existe réellement, je peux planter bien avant les autres dans le village 😉
Je vais relire ce texte en le découpant comme un saucisson : par tranches. Chacun a sa manière mais il est vrai que l’écriture (pour moi) n’a rien de spontané. Ce qui est spontané, c’est la chanson qui vient au matin (« mais ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine » par exemple), ou le soir, avec les deux oreilles collées sur l’oreiller, quand le petit carnet est sur la table de chevet et que ma petite femme ronflote sous sa machine à respirer, une phrase qui traverse et met en branle une histoire résumée/scriptée à la va-vite pour tenter de la recomposer le lendemain (mais ce n’est plus la même), bref (j’aime ce mot), tout ce qui nourrit la pensée, la perception des choses et des êtres jour après jour ouvre les portes de l’écriture, y compris quand le vent d’automne fait valser les feuilles car on a perdu l’agrafeuse .
J’ai vécu un an avec une compagne sur les bords du lac Majeur après avoir lu le chapitre « les îles Borromées » (in « les îles ») de Jean Grenier, îles inconnues qui semblaient si lointaines, et si proches pourtant. (Juste pour dire l’influence de la lecture sur ce qui peut changer la réalité physique de notre vie).
L’écriture est pour moi une déferlante , la septième vague qui emporte mon imaginaire ; certes, la mer est à 100 km, mais ici, de l’Atlantique, vient parfois, vers seize heures, l’Embata, qui prévient que le temps va changer. Deux heures plus tard le ciel devient lourd de nuages et la pluie tombe. Alors, en ces temps racornis on rentre à la maison, et on écrit (ou on se fait enguirlander par la patronne qui cuisine, griffer par les chats qui en ont marre des croquettes à deux balles ou bon…interdit au public).
Alors, c’est vrai, à ce moment-là, on crie spontanément : merde, j’avais une idée, elle est tombée dans la marmite de la vie quotidienne. Viens, mon chéri, avec la louche tu la retrouveras, ton idée, car comme tu sais, ma soupe est bonne!
Bonne soirée !
Karouge,
Bien sûr, voilà une autre manière de bouillir que je conçois parfaitement.
Les approches sont à la mesure de la personnalité de chacun et de son vécu… elles sont multiples.
Avec « spontanée », je signifiais qu’il n’y a pas de longue maturation des idées, que tout part d’un déclic, d’un instant, d’une étincelle. Je ne cherche pas l’inspiration, elle vient à moi à partir d’un effet déclenchant inattendu. D’ailleurs, il m’arrive, si je ne développe mes idées sur l’instant, d’oublier et d’attendre une autre inspiration.
C’est aussi le fonctionnement d’après, une fois passé à autre chose, « j’oublie » le détail de ce que j’ai écrit.
Je comprends qu’il y ait de quoi piocher à louche dans la soupe délicieuse de votre épouse, peut-être qu’avec une cuillère, en surface, il a moyen aussi d’y prélever matière savoureuse sans plonger à l’aveugle.
Je constate que vous bouillonnez encore plus que moi 😉 et je vous raconte, sans doute, des banalité éculées…
J’ai raté votre commentaire hier soir, ainsi je vous souhaite une bonne journée.