Voir la mer et rêver d’un dernier voyage…
Venez avec moi, je vous invite à visiter mes rêves.
Installé devant ma fenêtre, paisible, l’esprit en vadrouille, je regarde la montagne de Cagna juste en face. Les nuages assis sur la crête, figés pour un bon moment, bouchent l’horizon. L’esprit et le temps se cognent, se heurtent à cette barrière, s’impatientent.
Fermé, tout est clos.
Les idées poussent et bousculent ces frontières pour aller voir ailleurs mais le maquis, les chênes et les châtaigniers font diversion. Ils sont les gardiens des images d’ici, ils veillent à la fuite des pensées, ils embrouillent.
Le milan survole la vallée puis frise le toit de la maison, lâche son cri strident.
Pourquoi ? Je n’en sais rien.
Un chien égaré déboule à toute vitesse, il court après le vent, s’arrête, saute par-dessus le muret puis fonce comme un fou dans le petit chemin.
Le chat haret se prélasse sur le bord du bassin. Il me regarde, il est habitué, il n’aura ni lait ni croquettes, rien. Il sait se débrouiller tout seul et connaît le coin des campagnols. Il s’amuse dans ma cour très souvent à faire sauter une souris, à la lâcher puis la reprendre jusqu’à ce qu’elle soit fatiguée. On la retrouve un peu plus loin, décapitée et abandonnée. C’est lui, le Mistigri blanc et noir qui a traqué puis croqué les merleaux de la dernière couvée. Il s’en fiche, n’a peur de rien. Il me toise et me prévient : « Prends garde à tes brochettes ! »
Un jour, je l’ai vu passer tranquille avec une enfilade de viande qui grillait dans le barbecue mural. Il s’était servi mais ne consommait pas sur place, il préfère son coin dans le jardin, sous la cabane. En filant comme un voleur qu’il était, avec la brochette de travers, il n’avait pas calculé le trou du muret qui sert de passage à l’eau de pluie. Il s’est planté. La broche l’a stoppé net…
Surpris, il a lâché son butin, a sauté par-dessus le grillage sans demander son reste et sans se retourner.
Ce soir à la brunante comme disent les québécois, les nuages seront des vagues, là-bas au-dessus de la montagne. Les alentours vont s’obscurcir, le milan va dormir, le chat sera en vadrouille. Mes idées vont s’évader. Mon regard pointé sur les flots va embarquer puis quitter la Méditerranée pour gagner l’océan. Les lumières qui scintillent sur les côtes vont s’éteindre, seule la lueur de la lune, frémissante sur l’onde, va montrer la voie. Un chemin chaotique qui mène là-bas, dans un pays inconnu qu’on imagine plus beau que celui d’où l’on vient.
Le temps se libère, devient éternité.
Aucun repère à l’horizon, plus d’horizon, plus de mouvement sans repère, et pourtant l’océan me berce, les vagues me soulèvent et me lâchent. Il reste les sensations. Je monte, je descends, je vais sans savoir vers quel rivage. Une houle plus forte me porte à bout de langue, très haut, puis dévale dans un grand creux sans jamais m’engloutir. Je suis la souris entre les pattes de l’onde devenue furieuse. On dirait qu’elle ne sait pas ce qu’elle fait, qu’elle est innocente. Elle bat au rythme des courants et du vent, cadencée comme un cœur tachycardique qui s’emballe et ne meurt pas.
Je suis un fétu insignifiant, perdu dans cette immensité humide et froide. La lune fait des dessins tremblants sur la surface frisée. Elle joue comme une folle, court d’un nuage à l’autre, clignote, s’éteint puis s’allume, plein phare. On dirait qu’elle n’est pas seule, sa partie de cache-cache fait croire qu’elles sont plusieurs…
Derrière elle, beaucoup plus loin, beaucoup plus petits, plein de mondes scintillent. Ils clignotent aussi et semblent moins futiles. Normal, ils m’ignorent, je ne suis qu’une poussière totalement invisible mais qui pense.
Des myriades d’étoiles, autant de télescopes célestes observent l’univers sans détecter ma présence nanoscopique. Ignoré de tout ce qui scintille, seul sans la solitude absolue. Le regard perdu dans cette immensité démesurée, dans ces lumières énigmatiques, dans ce noir inquiétant.
Abandonné, plus secourable, à la merci du dernier voyage qui prend fin. Un silence gigantesque, en parfaite conscience de ce tout, le contraste est abyssal pour mon esprit qui vacille.
Le froid me glace les os, le corps devient inerte. Seul, la pensée défaillante, à peine lueur, je m’évanouis lentement.
Las, pressé de savoir, je rêve de la mer devenue rampe de lancement ou de déversement. Au bout de l’horizon, une grande cascade jette ses flots dans un abîme sans fin et me largue dans l’univers.
Je file à la vitesse de la lumière, visiter ces mondes inconnus, je vois des merveilles, des hommes bleus, des hommes gris, des femmes roses et orange…
Je m’envole vers les étoiles sur les rails d’un arc en ciel…
Je fuis au pays des autres, le pays des mille et une couleurs.
Mon rêve devient liberté.
Liberté de m’inventer un voyage qui ne s’arrête jamais, je fais escale sur escale et demeure éternellement dans la beauté des choses.
Je suis libre, encore, d’imaginer un monde que je ne connaîtrai jamais.
Au-delà de la vie, je m’invente à l’infini, une vie dans l’après vie.

Quel voyage! Il faut dire que le point de départ ( la vue depuis votre fenêtre) est superbe donc peut donner libre cours à votre imagination qui ne demande qu’à galoper.
J’adore la dernière photo, j’y vois plus un petit couple d’un autre monde, qui va, en se tenant la main…
Je me suis planté 😉
En effet celui de gauche fait penser au couple…
Oui, mais ils étaient là-bas, dans l’autre monde. 🙂