T’as pas cinq francs ?

On ne traverse pas l’enfance ou l’adolescence sans rencontrer la sexualité.
Une rencontre qui peut laisser des traces, stigmates amers ou hédonisme affirmé, rarement de l’indifférence. L’effet de surprise peut être désastreux ou au contraire allumer une flamme qui vous éclairera toute une vie.

Je ne sais plus exactement, j’avais entre onze, douze ou treize ans (c’était bien cette période) et tirais une vie banale de petit garçon sage considéré comme un modèle à imiter. L’appât idéal  pour une âme malicieuse en quête de candide, le jouet tout indiqué. Mes préoccupations étaient les billes, le foot sur la place de l’église, taquiner les grillons dans le cimetière en les faisant sortir de leur terrier avec un brin d’herbe à la fin du printemps… rien d’extraordinaire.

Nous étions en plein été, j’étais en short lorsqu’une fille beaucoup plus âgée que moi, une femme déjà, m’aborda :
– T’as pas cinq francs ?
A cette époque la pièce couleur alu était la plus grosse de toutes les pièces malgré sa modeste valeur en anciens francs … de quoi acheter quelques caramels, deux ou trois cigarettes en chocolat.

Evidemment, je n’avais rien dans les poches, rien à offrir à la demoiselle. Elle ne m’a pas cru, ou plutôt, elle fit mine de ne pas me croire :
– Si, si, fouille bien !
J’avais beau fouiller, pas la moindre piécette. Je n’ai même pas eu la présence d’esprit de retourner mes poches pour afficher ma bonne foi. Heureusement, ce manque d’aplomb allait faire mon bonheur.

Toujours sceptique, elle s’approcha de moi et me dit :
– Laisse-moi chercher, je vais trouver… et sans hésiter elle fourra sa main dans ma poche, se mettant à farfouiller partout. Elle prospecta si bien, qu’elle s’écria :
– Tu vois, tu as bien plus qu’une pièce, tout un rouleau bien serré…
Sa fouille à tâtons avait provoqué une sorte de pagaille dans mon pantalon. Une émotion absolument inédite, inattendue, qui me laissa perplexe un long moment. Ma première rencontre avec une main étrangère provoqua un tourbillon dans la tête, la découverte d’un « pim pam poum ! » qui résonnait dans les tempes et ailleurs, un peu plus bas.. Un plaisir infini qui me donna envie de recommencer.

A partir de ce jour, je me promenais toujours avec une pièce de cinq francs. J’étais sûr de pouvoir lui annoncer à chaque rencontre :
– Aujourd’hui, je l’ai, la pièce !
Et elle, aussitôt :
– Montre ! Je peux chercher un peu ?
L’astuce consistait à lui indiquer la poche vide pour que la fouille soit approfondie, on tenait le bon bout. C’était devenu un jeu agréable, infiniment délicieux, de plus en plus excitant. Elle avait vite compris qu’il suffisait de s’attarder dans la cache orpheline pour faire la rencontre désirée. C’est à tâtons qu’elle réveillait le tonton…

A force de farfouilles, plus encore, de savantes foir’fouilles, très vite, je parvins au grade caporal en chef pour assurer bon garde à vous.. J’avais décousu le fond d’une poche de manière à placer le sou convoité directement au contact de la main chercheuse. Dès que cette dernière partait à la découverte façon « tâtonne-moi et je suis en joie », la pièce se faisait rouleau en peu de secondes car l’idée du plaisir avait pris un peu d’avance.
Après quelques pressions savamment imprimées, une traite bien menée, un émoi difficile à contrôler survenait, elle recevait les intérêts directement dans sa main.
Elle faisait mine de me sermonner avec un sourire complice et promettait de recommencer une autre fois.

Secrètement, car dans de pareils cas vous gardez le secret pour vous, j’entretenais cette relation qui me conduisit directement de candide à lauréat. D’autres parleraient plutôt de déniaisement précoce ou se faire dégourdir le gentil gourdin par une accorte demoiselle…
Un grand pas pour moi, du néant à l’émotion, une ascension himalayesque  vers un plaisir jusque-là inconnu. Mais le chemin était encore long car les variations, les escalades, le toujours plus loin n’en étaient qu’à leurs balbutiements.

Un doux plaisir limité dans le temps, la durée d’un été chaud, qui allait donner le coup d’envoi à toute une vie d’hédonisme.

La découverte, par surprise, des premiers émois, allait me mettre définitivement en présence d’endorphine et de dopamine, ces hormones dont le plaisir sexuel est grand pourvoyeur. Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, j’avais appris à stimuler mes hormones par une approche des plus improbables.

Pour la petite histoire, la lavandière qui se chargeait de mes shorts, s’est toujours demandé d’où venait la fragilité de mes poches pourtant de bonne couture, au tissu de bonne facture. C’était un mystère : Comment fait-il pour maltraiter sa poche à ce point ?
En effet, allez savoir ce qui se passe dans le secret d’une poche !
C’est toujours dans les endroits les plus obscurs que naissent les intrigues et se tissent les meilleures énigmes…

Les billes et autres objets plus vifs furent désignés coupables, on me conseilla de ne plus surcharger mes poches d’objets encombrants.
Encombrants ? Ha, non !

La fin des vacances estivales arriva trop vite… La donzelle partie, je demeurai poche et bouche cousues comme un assoiffé devant une bouteille « indécapsulable » !
Longtemps coi, quoi !

 

4 Comments

  1. les cinq francs ne servaient pas qu’a acheter des bonbons mais d’autres plaisirs de la vie…..

  2. Comme tu dis, ce n’était pas de l’argent comptant mais qui rendait content…. ça valait son pesant aussi. Merci Jackie.

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