Mais pourquoi donc les poils pousseraient plus facilement dans la paume d’un paresseux ? Avoir « un poil dans la main » viendrait d’une expression du début du 19e siècle. Il se disait qu’à force de ne rien faire de ses mains, les poils pouvaient pousser sur ce terrain épargné par tout frottement.
Je me souviens de cette maîtresse tirant et lissant un long poil imaginaire né en plein milieu de la paume d’un enfant qu’elle m’indiquait du bout du menton. Vous voyez la scène.
Vu ainsi, c’était un moindre mal car cela signifiait qu’il suffirait d’un peu de bonne volonté de sa part pour que la réussite scolaire soit au rendez-vous.
En fait, son indication camouflée était une interrogation, un appel à l’aide à peine voilé. Elle souhaitait, sans le dire, que j’intervienne pour éclairer l’affaire. Or, on ne « prenait » jamais un enfant sans une demande clairement formulée et motivée. Sortir un enfant de sa classe n’est jamais un acte anodin, on catalogue vite et mal dans ce monde cruel.
Puisque le diagnostic était posé de manière détournée par l’enseignante, si l’on devait prendre en charge rééducative tout porteur de poil mal placé, il ne resterait plus grand place pour les enfants en réelle souffrance. Alors, prenant son mime au vol, je simulais le coup de ciseaux ou de tondeuse mais ce renvoi d’ascenseur sur le même mode mimé ne semblait pas beaucoup l’amuser.
C’était une manière, aussi, d’éviter un trop grand nombre de prises en charge puisque ces cas ne relevaient pas de mes compétences.
S’agissait-il d’ennui, de désintérêt, de manque de motivation ou de réelle paresse ?
Un jour, un de mes amis qui préparait un mémoire sur la paresse, me questionna pour avoir mon avis et quelques idées supplémentaires à mettre sur sa copie, sans doute. Cela m’amusa beaucoup et je crus détenir là, l’un des sujets les plus difficiles à traiter quant à leur aboutissement, au même titre que celui sur l’intelligence.
J’étais perplexe, sceptique en la matière. Je pensais que la paresse n’existait que dans l’esprit des gens sous forme de raccourci pour expliquer une attitude certainement plus complexe.
Je me disais : La paresse existe mais n’est pas. Elle est le fruit de l’imagination, parfois de l’incompétence, pour expliquer une attitude difficile à accepter.
C’est ainsi que je pensai au Yéti : puisqu’il y a des traces de paresse peut-être qu’un jour découvrirai-je le Paresseux.
Dès lors, sans vraiment partir sur les traces de l’abominable « enfant des classes », je n’en demeurais pas moins à l’affût.
Et voilà qu’un beau matin, je tombe nez à nez avec un spécimen de taille, répondant à toutes les définitions déjà émises. J’étais certain de tenir l’ « Homo Paressus » en chair et en os qui allait mettre fin à l’alternative : « Est-il ou n’est-il pas ? »
Voici tel que je le découvris au sortir de l’hiver, juste avant la fonte des neiges. Il était là, assis devant moi, les cheveux en bataille, la bouche de travers car sa main droite soutenait son menton, le coude planté sur la table. Son regard fixe mais vague, indiquait bien qu’il me regardait sans me voir. C’est alors que je tentai d’entrer en communication avec lui :
– Dis-moi, qu’est-ce que tu aimerais faire aujourd’hui ?
– Gr….grr…grr…bu…bu… Il marmonna quelques paroles d’extraterrestre, incapable d’articuler le moindre mot.
– Je n’ai pas bien compris, peux-tu répéter ?
– Gr…grr…grr…bu…bu… Manifestement nous ne parlions pas le même langage, il fallait tenter un autre mode de communication.
Après quelques instants de silence, je levai les yeux et constatai que sa paupière gauche venait de se fermer. Il ne me regardait plus que d’un œil et, à ma grande stupéfaction, je pus lire sur le rideau tiré de l’autre œil : « Ne pas déranger SVP ».
C’était bien un spécimen rare qui allait me permettre de conclure : « Oui, le paresseux existe, je l’ai rencontré ».
C’était aller trop vite en besogne. A ma grande déception, tous les spécialistes ne reconnurent en lui qu’un vulgaire « Homo Normalus » comme vous et moi.
Les rééducateurs : « C’est un problème d’intérêt… de motivation… doit être stimulé… »
Les psychologues : « QI normal ».
Les médecins : « C’est probablement la fatigue…vitamines ».
Imaginez ma surprise, lorsqu’un dernier spécialiste que personne n’avait consulté, éminent observateur et sans scrupules, le concierge de l’immeuble, croisa la maman de l’enfant : « Tiens, je viens de rencontrer votre lardon… un véritable poète ! Il fera parler de lui ! »
Et oui, on en parlait déjà de ce poète, et cette dernière remarque, la plus spontanée de toutes, probablement la plus proche de la » vérité », allait anéantir toutes mes recherches.
A l’évidence, je n’avais rencontré qu’un « Homo Oniriquus », plus communément appelé « rêveur »… mais de paresseux toujours pas de traces. Hélas, trois fois hélas, il fallait tout recommencer.
Aux dernières nouvelles, le paresseux n’a pas encore été localisé mais la chasse reste ouverte. Quant à moi, il y a belle lurette que je l’ai abandonnée.
Si vous entendez, ici ou là, parler de paresseux, méfiez-vous. Ce fantôme est comme l’Arlésienne, on l’annonce partout et on ne le voit nulle part. Les imposteurs ne manqueront pas pour crier : « Je le tiens, je le tiens ! » alors qu’il court toujours… et je crois qu’il a bon souffle pour courir encore longtemps.
Le bon sens attendait dans son coin avec son balai 😉 excellent!
Belle photo!
Encore merci AL.
Et encore un texte boudé.
Ce matin, je me suis levé en me demandant si j’allais continuer à écrire en l’air et puis c’est plus fort que moi.
La photo, je ne savais pas trop. Il s’agit d’un bout de grillage fixé sur una spalascia (un pieu de châtaignier), l’idée était d’en faire quelqu’un qui prêche dans le désert, c’est encore une chinoiserie qui en est ressortie. Je ne commande pas ce genre de métamorphose, elle se dévoile au fil des transformations puis je resserre l’idée dès que je peux avoir une influence sur l’image.
Et l’idée « Psycasso » 😉 Je m’amuse comme un vieux petit fou 🙂
Je continue…
Cher Simonu, on écrit jamais « en l’air » mais d’abord pour soi, pour garder la main chevillée au cerveau, celui-ci étant chevillé aux souvenirs (ou eux à lui, c’est comme on préfère !) et quand le lecteur « passe » (comme nous sommes passées devant tes textes Alma et moi) hé bien on s’arrête, on lit et si ça nous plaît on suit l’écrivain dans ses histoires ! Beaucoup passent, lisent et repartent, puis reviennent ou pas. C’est comme ça. Mais écrire « en l’air », prouve en tout cas une certaine souplesse des bras ! 😉
Bon après-midi.
Rien d’étonnant pour la souplesse des bras, ils sont habitués à la pioche et à la bêche, les doigts au clavier et à d’autre petites choses encore 😉 .
Il m’étonnerait que je m’arrête pour si peu, d’autant que je ne suis pas non plus un promeneur des blogs.
J’avais promis à Alma que j’écrirais un jour pourquoi. Mais je ne suis pas encore mûr pour cela (Chut ! Je vous en dis deux mots tout bas : je sais écrire mais je ne sais pas lire. Un jour je dirais tout, c’est promis, mais c’est une très longue affaire et cela me rebute.)
Merci Dominique, je devrais dire comme vous, chère Dominique, de passer encore me voir… 🙂
« Encore » ? mais je passe souvent lire, simplement que si je ne laisse pas trace de mon passage c’est que je n’ai pas toujours quelque chose à dire. Quand je lis un livre, je ne laisse jamais de commentaire à son auteur ! 😉
Je crois qu’il y a quiproquo Dominique 🙂
Encore voulait dire « souvent » justement, « qui passez souvent ».