Si je vous disais…

Vous ne me croiriez pas.

Durant ma carrière d’enseignant, j’ai assisté à la guerre des méthodes de lecture. C’était un sujet qui me rebutait à chaque évocation.
Je n’y ai jamais vraiment cru, pour moi c’était du pipeau.

J’ai enduré presque toutes les conférences pédagogies, inévitables, sur les diverses méthodes de lecture. Il m’est arrivé d’en animer quelques-unes, je prenais soin de contourner l’éternel sujet pour m’intéresser au lecteur et non à la lecture. Je balançais souvent : La lecture n’existe pas, seul, le lecteur vit.
Parler de lecture sans évoquer l’état de l’apprenti lecteur était pour moi peine perdue.

A l’occasion d’une de ces éternelles journées dites pédagogiques, je fus sollicité pour donner mon avis. Agacé de constater que l’on prenait toujours le même chemin pour dire les mêmes choses, se retrouver devant les mêmes problèmes, j’avais adressé à la personne animatrice qui m’interrogeait :
« Si vous persistez à toujours entretenir la guerre des méthodes, je vous donne rendez-vous dans vingt ans pour exactement la même séance. Nous n’aurons pas avancé d’un millimètre, nous en serons encore à ressasser les mêmes idées. »
Trois années plus tard, dans le même secteur, j’étais convié à débattre de ce truc perpétuel de la meilleure méthode. La personne qui m’avait rétorqué « Là vous exagérez ! » trois ans plus tôt, était encore à la manœuvre animatrice. Nos regards se sont croisés, elle m’a reconnu et dans une sorte de déclic à réveiller une conscience, elle m’a pointé du doigt en disant, dans un cri du cœur :
« Vous aviez raison ! ».

Personne n’a rien compris évidemment, c’était notre affaire…

Pourquoi suis-je aussi braqué contre les méthodes ?
Tout simplement parce qu’en sélectionnant dans une grande section de maternelle, un nombre suffisant d’enfants ordinaires, je veux dire sans gros problèmes particuliers, pour composer une classe, ils apprendraient tous à lire avec n’importe quelle méthode.
Cela vaut grosso modo pour 70 % des élèves.
Je dirais même plus, si vous choisissez un maître peu expérimenté, voire qui ferait n’importe quoi, ils apprendraient tout de même en déjouant toutes les embûches car à l’âge du CP, le gros du contingent est prêt pour lire. Le contexte et l’objet principal de leur classe suffiraient à les faire avancer.
J’ai à peine exagéré.

Qu’adviendra-t-il des 30 % restants ?

Parmi ceux-là, 10 %, bon an, mal an, constituent le lot habituel des plus réfractaires. Un pourcentage incontournable que l’on retrouve toujours, comme les 10 %  qui se détachent parmi les meilleurs.

Que leur arrive-t-il ? Et pourquoi vont-ils galérer ?

Ce sont des enfants « non finis », pas prêts pour apprendre à lire et cela risque de durer un peu ou longtemps.

Pour toutes les raisons que vous voudrez, sociales ou constitutionnelles, vous y trouverez principalement les indisponibles (qui ont d’autres préoccupations que l’école et la lecture).
Ils ne voient pas ou regardent sans voir, ils n’entendent pas car ils n’écoutent pas.

Il y a les sinistrés du langage (troubles de la parole ou du langage) , des prérequis (concepts de base, généralement acquis à cet âge) ; les immatures encore bébés, toujours en construction ; ceux perdus dans l’espace et dans le temps ; les réfractaires purs et durs qui regimbent devant tout apprentissage… bref tout le lot des indisponibles, c’est-à-dire pas encore prêts pour les apprentissages fondamentaux, l’apprentissage de la lecture n’est qu’un révélateur puisque c’est sur lui que sont braqués les projecteurs du CP.
Le mal, si j’ose dire, dépasse la lecture.

Il existe également un petit lot d’enfants qui voient insuffisamment bien ou qui entendent mal par mesécoute ou hypoacousie légère, non détectée.

Ces enfants à des niveaux divers, durables ou non, devront suivre un enseignement personnalisé mieux adapté à leur cas. Un travail plus approfondi, multiformes et donc plus long. Dans ces cas, on pourra envisager l’application de méthodes conformes au fonctionnement de chacun.

Evidemment, on ne peut raisonnablement proposer un enseignement débridé, mené au gré de chacun dans toutes les écoles de France et de Navarre.
Pour rassurer tout ce monde d’enseignés, d’enseignants et de parents, il faut montrer cohérence. Le manuel scolaire est là pour cette raison principale.   

Si je devais faire un choix à tout prix, je choisirais la syllabique (analytique et synthétique) dite mixte à départ syllabé, mâtinée de gestuelle et avec un soupçon de globale.
Un forgeron apprend à manier le marteau, à bien le tenir pour ne pas se taper sur les doigts avant de devenir artisan.
Un temps un enfant apprendra la combinatoire, ce n’est pas temps perdu, il aura tout loisir, ensuite, d’aller chercher fortune et plaisir dans la lecture et les livres. Proposer à tout prix du sens dès les premiers balbutiements n’est que vue de l’esprit, c’est le principal argument entre les « pro- globale » et les autres.
Je connais les diverses approches plutôt que les méthodes.
Je faisais mon choix après avoir bien observé le fonctionnement de l’enfant, son profil et son état du moment.
J’avais inventé le Profilec (profil lecteur), une sorte de portrait robot qui m’indiquait la marche à suivre avec chacun et une marge d’erreur assez limitée.
On ne fonctionne pas de la même manière avec un rêveur, un torturé ou un immature.
Je m’occupais du lot situé dans ces 30 % en difficulté en privilégiant les plus touchés., c’était mon métier.

Pour la petite histoire, j’expérimentais ma « méthode dite gestuelle » avec mon premier enfant, en le lavant le matin avant de partir à l’école. Nous n’avions que le support gestuel, aucune lettre sous les yeux, aucune feuille, aucun stylo et pour cause, il était dans le lavabo…et le temps limité.

A quatre ans et demi, il lisait couramment. Le soir nous faisions le point en concrétisant sur une feuille, ou avec un livre, les quelques minutes de lecture gestuelle amorcée le matin. Cette pratique est également d’un grand secours lors des premiers pas avec l’écriture, les lettres composant le mot sont visualisées par les gestes. C’est une amorce utile qui s’estompera rapidement avec les progrès de l’apprentissage, une fois l’intériorisation bien mûre.

Qui a dit « Pauvre gosse ! » ? Oui, oui, je vous ai entendu !

Il se porte très bien et en a tiré grand bénéfice, personne ne traverse vie sans sa petite ou grande galère.

Il n’avait pas de carences particulières, son affectif était équilibré, il était à bonne école évidemment.
Je n’avais pourtant pas de méthode arrêtée puisque j’expérimentais, j’improvisais.
Avec cette expérience, il m’arrive encore de redresser quelques maladresses qui persistent chez certains, si d’aventure, ils me tombent sous le nez… Il me faut peu de temps… c’est ma seconde nature, tous ces trucs tordus me sautent aux yeux. Les redresser m’amuse énormément 🙂

Ne me parlez plus de guerre des méthodes de lecture, c’est un combat stérile, j’en ai eu ma claque… suffisamment !

Si vous avez pour mission d’apprendre à lire aux enfants, allez-y de vos convictions avec l’application de votre choix et soyez attentif, ce sera largement suffisant, des difficultés chacun en rencontrera quelle que soit votre approche…
Surtout souriez, prenez du plaisir à enseigner, l’école est une belle affaire ! 🙂

Il existe aussi la grande confusion entre dyslexie et difficultés de lecture. Il ne faut pas tout mélanger pour le plaisir d’employer des grands mots pour des petits maux.
Là, encore, c’est autre chose !

Portraits de deux de mes petites filles, pastel et aquarelle, réalisés par leur grande tante, sur photos du grand-père.

8 Comments

  1. La guerre des méthodes fut souvent une guerre d’orgueilleux trop certains de la justesse et de l’universalité des voies qu’ils préconisaient. S’ils doublaient cette attitude d’un tempérament autoritaire ils comblaient d’aise la foule qui aime l’ordre et marcher au pas. Hélas, marches et contre marches en rangs serrés piétinent une bonne partie de la troupe. Malheur aux tempéraments tirailleurs.
    J’en ai récupéré tant à l’âge adulte qui ne gardaient de leur scolarité que le goût amer de la défaite et de l’opprobre. Ils avaient renoncé souvent ou s’étaient rebellés contre eux même ou les autres. Pourtant les entreprises ou institution qui me les envoyaient, connaissant leur richesse professionnelle et/ou humaine, souhaitaient qu’il accèdent à l’écrit. C’est en s’appuyant sur ces points forts de chacun que nous arrivions à remettre en place quelques ressorts déboités, ne traitant que ce dont ils avaient, eux, besoin et par les voies qu’ils pouvaient emprunter.
    A te relire

  2. J’ai fait cancre toute ma scolarité avec un très mauvais souvenirs de mes professeurs. Aucun ne m’a intéressé à son enseignement, sauf mes professeurs de dessin et d’Histoire (ça me faisait rêver l’histoire de France !) Plus tard j’ai étudié le dessin et l’ai exercé dans ma vie professionnelle, les cours d’ histoires eux, ont nourri mon imagination au point que maintenant je raconte DES histoires qui même si elles n’ont rien à voir avec L’HISTOIRE, celle-ci en reste l’origine.
    J’aurais aimé que mes professeurs de maths ou de sciences m’intéressent à leur art, car qui sait si je ne serais pas lors devenue un phénix au CNRS ?!!!!! 😀 😀 😀
    Avec des professeurs attentifs et qui aiment enseigner à leurs élèves, tout est plus facile pour eux !

  3. Je te laisse le soin de corriger les énormités que je viens de voir en me relisant. Mais chut, fais vite avant que l’on se rende compte à quel point j’étais un vrai cancre ! 😉

    1. J’ai perdu le sens de ce genre d’observation.
      Ce qui importe c’est le vivre bien sa condition, pour le reste, il y a à boire et à manger, à dire et à redire, alors je ne dirai rien.
      J’ai connu des galériens de la lecture qui ont bien réussi leur vie et c’est parfait.
      J’en suis un exemple, je raconterai un jour cette galère 🙂

  4. Tout ce que je peux dire c’est que les enfants qui ont croisé votre chemin ont eu beaucoup de chance et que j’espère qu’aujourd’hui il y en a encore comme vous.
    J’admire les 2 portraits et pour avoir vu des photos dans un autre article, je les trouve particulièrement réussis, surtout le premier.
    En résumé autant le grand-père écrivain que la grand-tante artiste peintre, c’est beaucoup de talent et d’amour tout ça 🙂

    1. Je suis du même avis, le peintre (la) a bien du talent. Je ne connais pas cette personne de l’autre famille.
      J’aimerais bien savoir peindre comme elle.
      Je me suis essayé à l’huile et à l’aquarelle.
      Pour l’huile, j’étais sur la bonne voie, l’aquarelle c’était plus difficile pour moi.
      J’ai perdu tous mes tableaux dans le déménagement qui me ramenait en Corse.
      J’avais eu la bonne idée de noter « tableaux » sur le carton.
      Soit on a cru qu’il s’agissait de tableaux de maîtres, soit on m’a pris pour un peintre de renom, résultat : un blocage, je n’ai plus touché à un pinceau. Je ne désespère pas d’y revenir un jour mais les jours passent vite…
      Je n’aurai pas le temps de parvenir à un tel niveau 😉

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