Aux villageois.
Je passe mon temps à restaurer d’anciens textes qui ont été maltraités en passant de l’ancien au nouveau blog. Il y en a quelques centaines. Ne vous étonnez pas d’avoir déjà rencontré celui-ci dans un coin des « Choses de la vie »… Je raconte ce que certains appellent vieilleries pour garder une mémoire du passé de mon village, c’est cadeau pour les lévianais.
J’ignore d’où lui venait ce surnom d’évêque (vescu=évêque). Le sobriquet lui collait à merveille, il régnait sur son « évêché » avec une autorité naturelle et un calme olympien. On allait dans son bar comme d’autres se rendaient chez Laurette.
Sa gentillesse légendaire forçait le respect, de la sorte, personne n’osait lui adresser un mot de travers. C’était impossible et sans objet. Sa probité, sa douceur, sa bonté auraient désarmé le plus extravagant d’entre tous.
Je l’ai vu quelques fois en colère mais sa colère était apaisante et cette antinomie annihilait toute velléité d’opposition. Rien n’était feint ou recherché lorsqu’il fallait se montrer autoritaire. Tout en ipséité*, il exprimait sa manière d’être et cela suffisait.
Pourtant, il ne devait pas être facile de tenir un bar comme « Le Progrès ». Il y passait beaucoup de monde durant l’année et devenait, en été, le rendez-vous des « enfants sans soucis » *( hymne villageois) égaillés aux quatre coins de Paris ou de Marseille. Couché tard et levé tôt, on se demandait comment il pouvait tenir la cadence.
C’était le seul bar où l’on pouvait jouer aux dames, au backgammon, aux échecs, au rami, à la belote, au bridge et même à bestia un jeu qui a totalement disparu de nos villages. Puis le babyfoot, le jukebox…
C’est là que Bona puisait le carburant qui le faisait tenir jusqu’à l’aube durant toutes ses vacances estivales, lorsqu’il était la mascotte du village. A force de charger les verres, il devenait grognard, refaisant la Retraite de Russie à qui voulait l’entendre :
– Il neigeait, si u n’avia nivatu, qualcosa aiani dà pidà ! (S’il n’avait pas neigé, quelque chose ils allaient recevoir ! Traduction littérale qui perd tout son sel en français)
Les estivants se laissaient pousser la barbe pour balayer le comptoir qui leur arrivait juste sous le menton. Après quelques verres sans modération, les accoudés du zinc déclaraient :
« Tout tremble et rien ne bouge !».
C’était ainsi, et même si un verre ça va, trois verres bonjour les dégâts, on ne peut nier l’existence de ce passé, le raconter tel qu’il fut. L’expression « boire avec modération » n’était pas encore d’actualité, ils étaient bien capables de faire croire que Modération était une copine… portée sur la chopine.
Dans cet endroit, j’ai appris à jouer au bridge en regardant les anciens. Guy et Antoine formaient un duo redoutable avec des codes secrets difficiles à déjouer.
Bauer, dont l’intelligence du jeu faisait merveille, avait son souffre-douleur. Il s’asseyait derrière lui pour le regarder jouer. Le bridgeur, presque terrorisé par cette présence dans son dos, perdait tous ses moyens et alignait les erreurs. Le sentant paralysé, incapable de réagir, Bauer lui tapait sur l’épaule et lui demandait :
– Combien d’années pour faire un siècle ?
– Cent ! Répondait-il médusé comme la grenouille devant le serpent.
– Et deux siècles ?
– Deux cents ans ! Affirmait l’autre, tout rouge…
– Eh bien, même en vivant deux cents ans, tu n’apprendras jamais…
C’est ainsi que ce paisible joueur perdait tous ses moyens et quittait la table. C’est toujours en tremblant qu’il voyait arriver son bourreau.
Antoine le frère de Vescu était très facétieux. Il lui arrivait de s’amuser tout seul sur le mode pince sans rire. Dès qu’il me voyait, il m’adressait un clin d’œil, je savais que les sketches allaient fuser. Il était à l’affût de la moindre occasion pour enclencher une facétie. Laurette, celle qui habitait quelques fenêtres au-dessus du bar avait envoyé son fils de cinq ans acheter une boîte d’allumettes. L’enfant avait demandé une allumette. Antoine lui en donna une seule puis sortit sur le trottoir pour observer la réaction de la maman souvent accoudée à sa fenêtre… Parfois, il écrivait sur le miroir qui trônait sur la cheminée, au grand dam de Vescu :
« Demain, tout le monde boit à l’œil »
Il visait les « chauffés du comptoir» et piégeait les plus crédules… Faire des farces était devenu son métier, j’en ai connu des plus pendables.
Padoue était très attentif avec les jeunes qui cherchaient à imiter les grands. Il nous servait bien quelque verre alcoolisé mais très rapidement, il nous demandait d’arrêter en insistant, nous faisant comprendre que mettions notre santé en danger. Il nous expliquait et son attitude nous touchait. Convaincus devant sa sincérité, nous l’admettions, dans le cas contraire, il nous opposait un refus catégorique dans une attitude de gêne. Je garde un excellent souvenir de cet homme, j’aimais parler avec lui et je crois que c’était réciproque.
Les seules fois où je l’ai vu embarrassé, c’était lorsque toute une flopée d’enfants s’agglutinait dans l’arrière-salle, appelée le réservé, pour suivre un match à la télé. Il y avait très peu de téléviseurs au village et les jours de foot sur le petit écran, les enfants accédaient au local par une entrée détournée. C’était le silence complet pourtant, tous assis par terre pour ne pas occuper la banquette. Parfois ça passait. Parfois Antoine Ripolin * se montrait facétieux et prévenait Vescu de cet envahissement intempestif. Il s’exclamait :
– Ô Padoue, venni, venni… cu u zulfaru ! (Viens avec le soufre ! – Trop compliqué à expliquer et par les temps qui courent, mieux vaut passer -)
Sous la pression, Padoue s’affolait montrant une autorité brusque, inhabituelle, pour faire de la place aux adultes. Antoine Ripolin, le poussait exprès à se mettre en rogne, ça l’amusait beaucoup de le voir enfin dans cet état, lui d’ordinaire si calme.
Toujours à l’affût d’une blague, notre peintre en bâtiment commandait un panaché puis faisant mine de goûter, tirait la moue pour taquiner Padoue en l’interpellant :
– Je parie que tu as mis la bière avant la limonade ? »
Notre ami hésitait quelques secondes, cherchant à se souvenir… puis réalisant la moquerie, repartait derrière son comptoir dans un vaste éclat de rire.
Vescu était un saint homme.
C’était sa nature profonde.
*Ipséité : Etat et conscience d’être et rester soi-même, sans prendre de postures, d’attitudes pour se donner un rôle…
« Enfants sans soucis »= les lévianais
* Ripolin, était son surnom. Antoine Bartoli était peintre en bâtiment.
Tout y est. La qualité. Un récit des phrases une écriture sans fautes. J’aime, je vais revenir. Merci pour votre passage.
Bonsoir Bertri.
Merci à vous d’être passé aussi.
Bonne soirée 🙂