La mort en filigrane est le sel de la vie.
Si je pense à la mort, ce n’est pas signe de faiblesse. L’idée me conduit à vivre mieux le temps incertain qui me reste pour aller au bout du chemin.
Je déambule dans des cimetières imaginaires devenus endroits de philosophie comme l’agora athénienne.
Chaque tombe cache un Socrate* qui sommeille pour l’éternité et pousse le visiteur de passage à découvrir son « connais-toi toi-même ».
Je vous emmène dans mon cimetière inventé, parmi les tombes, pour écouter les morts qui parlent de la vie à travers les épitaphes gravées sur leurs pierres tombales.
Je me promène avec vous parmi tous ces gens qui ont vécu et qui ont encore des choses à dire.
Ecoutez-les, lisez ces mots, cogitez et pensez les vôtres, s’il vous en dit.
Nous sommes au pied d’une colline, la nécropole est déserte et silencieuse, notre visite va commencer… à nos pieds, une première pierre tombale…
Si tu crois en Dieu, vis ta vie…
Eternel, il ne connait pas le temps.
Toutes nos épitaphes ne sont que paradoxes :
Elles se veulent voix d’outre-tombe et ne sont que pensées de vivants.
Si ma croix est silence, c’est que j’avais peur de dire des bêtises.
Avant de faire graver ces mots, j’étais à ta place en quête de savoir…
Je me suis contenté de croire.
Je suis silence pour que tu brasses tes idées.
Avant, je croyais sans rien savoir.
Sous cette pierre, j’ai caché mon point d’interrogation.
La vie et la mort ont ceci en commun : l’une et l’autre ne sont qu’ignorance.
Seuls, le « croire » et « ne pas croire » sont paix de l’âme.
Le doute n’est qu’âme en peine.
Dieu existe.
Je l’ai rencontré, il ne m’a encore rien dit.
J’ai dû tout imaginer.
Chante-moi ta chanson !
Je l’ai cru, il le croyait, nous l’avions cru, vous le crûtes, ils l’auraient cru… Tu le crois encore…
Avec le temps, à chacun son chemin de croire.
Maintenant je sais !
Visiteur, cette pensée date de mon vivant.
Tu peux continuer à douter.
Etre dans la béatitude c’est voir Dieu, lui seul et personne d’autre.
La béatitude te dépouille de tes sentiments, te change en un autre au regard et envies univoques.
Visiteurs, ce cimetière est rempli de vos vies.
Sans vous, il n’est que champ de fleurs.
Ici on ne dort pas.
On finit de consumer les derniers restes de vie dans vos esprits.
Ce soir, je sors hanter vos rêves.
Quand je suis dans tes rêves, pense que c’est toi qui es venu me chercher.
Si je t’accompagne dans tes rêves, c’est parce-que tu agites le passé comme s’il était aujourd’hui.
Je ne suis plus qu’une image légère, facile à transporter à ta guise pour t’aider à vivre.
Tu m’imagines une âme, j’aurais bien aimé rester du côté du rêve.
Tu parles avec moi, sache que tu parles de ton histoire.
A t’écouter penser, étais-je aussi bavard ?
Outre-tombe, je reste le miroir de ta vie.
J’étais avec toi, aujourd’hui tu m’imagines.
Je ne suis qu’image, le fruit de tes pensées.
Tu te souviens ?
Alors, choisis tes souvenirs !
Crois-tu que j’aie rencontré Dieu ?
Je n’ai plus les moyens de le dire !
Le masochiste : Fais-moi souffrir !
Le sadique : Nooon !
Dieu : Quoi ?
Les voies du Seigneur sont toujours impénétrables.
Aucune ne mène à lui, il est toujours ailleurs.
Ainsi, nul n’entre chez lui.
Les joies et les peines s’éteignent avec la mort,
alors tu t’inventes des espoirs car ne sachant rien,
tout est permis.
Pour toi visiteur, la mort fourmille encore de vies.
Je crains que les défunts n’ignorent tout de la mort.
J’ai pensé ces lignes de mon vivant, de peur de sombrer dans le néant.
Nous ne sommes pas plus avancés aujourd’hui.
Que c’est triste de ne savoir jamais !
Tu es venu, tu vois et tu restes dans l’ignorance…
File d’ici, vis et ne cherche pas à comprendre.
Si tu as compris le temps, file avec lui comme la barque sur le fleuve.
Regarde vers les berges, la vie qui fourmille…
Ne vise pas devant, la cascade qui t’attend pour le grand tourbillon reste invisible.
Ne jette qu’un petit clin d’œil furtif, juste pour te souvenir où tu vas.
Malade, je savais ma mort proche.
Affaibli, fatigué, usé, je l’ai apprivoisée.
Elle tenait déjà mon pied, je lui ai tendu le deuxième et je suis parti avec elle.
Tu te demandes où je suis, ce que je fais, si j’ai encore un souffle de vie.
Tu ne peux pas savoir, je ne peux pas te dire… nous sommes dos à dos et nos regards ne peuvent se croiser.
C’est pourquoi, ils se croisent si souvent encore, mais dans ton imaginaire.
La pensée du vivant est le souffle qui fait vivre le souvenir du défunt.
Et puis les grands hommes. ( Pensées – en italique – prolongées )
Pascal m’a dit : « Tu ne perds rien à croire tu as tout à gagner « .
Dieu m’a demandé si ma croyance était sincère ou intéressée.
J’ai balbutié, il a souri.
Le pari de Pascal est une grosse escroquerie.
Jean Rostand disait : » Lorsqu’on tue un homme, on est un assassin ; lorsqu’on en tue des milliers, on est un conquérant ; lorsqu’on les tue tous, on est Dieu « .
Il n’a pas changé d’avis.
Voltaire ne pouvait « concevoir que cette horloge existe et qu’il n’y ait point d’horloger… «
Il est parti sans son réveil pour oublier le temps.
Faisant un clin d’œil à l’anthropomorphisme et au Dieu à l’image de l’homme, Montesquieu rappelait : » Si les triangles faisaient un Dieu, ils lui donneraient trois côtés « .
Et il serait équilatéral, le triangle parfait.
Evoquant, sans doute, les voix impénétrables de Dieu, Jaspers suggérait : » Lorsque je parle de Dieu, ce n’est pas de dieu que je parle « , c’est de moi que je parle.
Sur ma pierre tombale.
Celui qui a intégré la notion de temps ne se préoccupe plus du sens de la vie et se passe de l’idée de Dieu.
Ou alors :
Je suis venu, j’ai vu et je n’ai rien compris.
J’aimerais bien refaire un tour,
Non pour comprendre mais pour le plaisir.
Et puis en quittant le cimetière, je vois au fronton du portail :
« Nul ne retourne ici, s’il n’est plein d’incertitudes : la philosovie est un perpétuel recommencement.«
« Les morts n’y viennent pas, ils y sont transportés.
Dès lors, le vivant ensevelit la même énigme en croyant déposer un destin.«
Puis sur la gauche, une pancarte :
« La promenade est finie pour aujourd’hui, espérons qu’il y aura encore beaucoup de lendemains.«
*Socrate philosophe grec (470-399 avant JC), est le fondateur de la réflexion philosophique. Il dialogue avec les athéniens sur les agoras (places) pour les aider à dépasser le sens commun et l’ignorance qui mènent à l’injustice. Il procédait par discussions, c’est grâce à ses élèves Platon et Xénophon qu’il est connu à travers leurs écrits.
Ces épitaphes inventées sont en grande partie une tautologie, c’est-à-dire la répétition de la même idée sous des formes différentes. J’ai simplement cherché à exprimer ma vision de croyant devenu agnostique sans me prendre pour un philosophe. Une grande partie de ces condensés a été imaginée au fil de l’écriture de ce texte sans aucune réflexion préalable, approfondie.
Tourner autour des croix et n’y voir que points d’interrogation…
La photo est belle, sûr qu’elle inspire à la rêverie…
Je retiendrai celle-ci, ma préférée:
» Maintenant je sais !
Visiteur, cette pensée date de mon vivant.
Tu peux continuer à douter. »
Et puis celle de Montesquieu, notre imagination ne peut aller plus loin que ce que nous sommes (hélas) et comme vous je reviendrais bien pour le plaisir 😉
Oui, pour le plaisir… car je suis sûr d’en avoir pris tant que j’ai pu mais pas assez 🙂
La photo, c’est une vue autour de l’église de Carbini. Je l’ai floutée pour plus de mystère.
Mais je trouve que dans le blog elles sont trop réduites, je ne fouille pas dans les paramètres, peut-être un jour de pluie 😉