La colline de Cacareddu fut mon terrain de jeu durant l’enfance.
Un endroit magique couvert de châtaigniers dans sa partie basse et de chênes verts très denses vers le sommet.
Cet espace de liberté, fortement pentu, nous donnait l’impression de dominer le monde.
Un square naturel dont les balançoires étaient les branches basses auxquelles nous nous pendions pour jouer à Tarzan pendant que notre Jane nous admirait en frémissant.
C’est sur ce toboggan fortement incliné que nous usions nos culottes courtes en évitant les bogues qui traînaient là en toute saison.
Nous tracions un parcours rectiligne suffisamment balayé pour éviter les piquants, le short protégé par un carton qui faisait office de luge. Avec cet accessoire de fortune nous fusions et plongions vers le bas de la pente à vitesse vertigineuse.
Il fallait freiner à temps avec un mouvement de côté pour ne pas chuter sur le chemin qui mène à Vitalbettu ou carrément contre le mur des jardins en contrebas.
A l’ouest de Cacareddu, se trouvait le réservoir d’eau qui desservait le village. Nous prenions quelques risques sérieux en gravissant les échelons qui menaient à la petite porte de visite. En chahutant comme nous le faisions, la chute aurait été fatale.
Lorsque l’eau était « topée » (u topu = le rat) c’est qu’un rat noyé surnageait à la surface. C’est à cet endroit, plus ensoleillé, que je lâchais notre chèvre le matin avant d’aller à l’école et la récupérais le soir lorsqu’elle s’attardait sur les hauteurs refusant de regagner sa cabane.
L’endroit était plus broussailleux que le côté est.
Bruyères et genêts dominaient cette colline formant des bouquets fleuris et parfumés, au printemps.
Généralement, le mardi gras, lorsque nous lancions le coq à la figure du maître ou du professeur, nous partions dans ce lieu qui faisait face à l’école et au collège du village. C’était un observatoire idéal le jour de l’escapade.
Planqués derrière les buissons, nous avions une vue imprenable sur l’établissement et cela augmentait notre plaisir de liberté avec l’image de discipline sur le versant opposé.
Nos cartables, puisqu’à l’époque nous n’avions pas de sacs à dos, étaient débarrassés de leurs livres et cahiers, remplacés par du chocolat et des gâteaux, dès le matin avant d’aller à l’école. Des tablettes chocolatées aux noisettes entières, des gaufrettes et des gâteaux « alsaciennes » fourrés et glacés à l’orange. Nous en raffolions.
De la limonade ou toute autre boisson sucrée, à chacun sa différence… il y avait même du saucisson encore un peu frais de l’année.
Certains, garçons et filles déjà préparés de longue date, en profitaient pour se bécoter un peu à l’écart, à peine cachés derrière un buisson. Pour d’autres c’était tintin, ils se contentaient de penser qu’un jour, ils tenteraient leur chance aussi en préparant « la chose » bien avant le tirage du coq. Un an c’est long…
De retour dans l’école de mon enfance, du côté du tableau cette fois-ci, j’étais suffisamment préparé à cette tradition, me semblait-il. Eh bien figurez-vous que je fus surpris le jour où Alexandre faisant mine d’être absent est rentré soudainement dans la classe avec un gallinacé enrubanné qu’il me balança au visage pour faire diversion afin que tous ses camarades déguerpissent. J’avais vécu cette expérience deux fois, au-delà et en en-deçà du bureau.
Était-ce feint ou étais-je réellement surpris, je n’en sais presque rien. Je crois vraiment que je n’ai rien vu venir.
Des parents, de connivence avec les enfants, veillaient de loin pour parer à tout incident.
Tous les matins, en allant ouvrir le poulailler, je jette un regard du côté de Cacareddu. J’ai l’impression qu’un air vivifiant veille sur moi et accourt comme un chien va à son maître en agitant la queue. La colline de mon enfance m’envoie des ondes de jeunesse, des bouffées de jouvence, m’insufflant une impression d’éternité…
L’esprit encore vif est une bonne chose. Il vous permet de grimper aux arbres en étant perdu dans vos pensées, de courir comme un dératé alors que vous commencez à peiner de la table au fauteuil, de survoler le village du haut de Cacareddu en veillant qu’une bogue ne vienne choir sur votre crâne… C’est mon bien le plus précieux qui m’empêche de vieillir… enfin, je crois et j’y crois fort.
Je suis encore en culottes courtes, mon esprit vagabonde toujours à l’ouest de Cacareddu, voilà pourquoi la vie est belle !
Quelques petites années d’insouciance ont suffi à imprimer toute une vie.
C’est sur cette colline que déambulait notre chèvre en amodiation.
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