Le téléfon.

Pour changer un peu de tonalité, cette histoire est un clin d’œil à Nino Ferrer.

C’était au début des années quatre-vingt, ma maison était isolée du village, j’avais fait une demande pour l’installation d’un téléphone. Je ne voyais rien venir, la fin des vacances approchait et à chaque fois, on m’assurait que quelqu’un passerait.

Un matin de très bonne heure, une personne seule débarque. Elle cherchait le poteau que France Télécom devait poser pour installer la ligne. J’ai tout de suite pensé que c’était fichu pour cette année. C’était compter sans le courage et l’abnégation du préposé. Un sous-traitant dont le job consistait à installer la ligne coûte que coûte. Une tâche bien payée à ce qu’il m’en disait. Il repéra un poteau à une trentaine de mètres puis traça tout droit à travers maquis jusqu’au poteau électrique situé à côté de la maison. Genêts et bruyères inextricables ne lui faisaient pas peur. En une journée, il installa un téléphone à hautes fréquences avec un boîtier électrique. Un homme fort sympathique qui ne craignait pas le travail en milieu hostile. Nous fîmes plus ample connaissance au cours du repas, je l’avais invité à déjeuner.

Quelques jours plus tard, nous repartions pour une année loin de chez nous.

Aux vacances suivantes, le téléphone était désespérément muet. Déjà largement échaudés par les atermoiements de l’administration, nous relançâmes notre harcèlement quotidien très tôt. A chaque appel, on nous promettait le passage imminent d’un réparateur. Cela faisait une semaine que je n’avais bougé de notre maison. Las de rester immobilisé pour rien, je décidai d’aller manger dans un restaurant du village. Au passage, j’interpellai un ami qui travaillait pour la journée sur le chemin qui mène à ma maison en lui demandant d’informer toute personne des Télécom qui se dirigerait vers mon habitation. Comprenant qu’il s’agissait d’une panne, il me mit en garde :

– Attention ! Si c’est un tel qui vient, ne lui laisse pas toucher l’appareil, il va te le mettre en panne !
– Mais il est déjà en panne.
– Peut-être, mais lui va te le mettre en panne définitive.

Le ton était donné mais j’étais loin d’imaginer que j’allais être au cœur d’un sketch incroyable qui allait durer un bon bout de temps.

Il était près de midi, j’étais attablé à une terrasse de café lorsque je vis passer une voiture de France Télécom. Sans trop réfléchir, j’ai piqué un sprint pour arriver à sa hauteur. Le chauffeur me vit dans le rétroviseur et s’arrêta quelques mètres plus loin. Il était en tournée de réparations, mon nom ne figurait pas sur son planning. Il m’annonça qu’il cherchait un coin à l’ombre pour se sustenter puis il me dit : « Où habitez-vous ? » Ma maison à flanc de colline était bien visible de cet endroit, j’ai eu droit à un « Houlala ! » presque douloureux.
Attendri par ma galère, il me proposa d’aller voir…

Là, rien !

En arrivant devant le boîtier électrique, il lâcha un soupir qui en disait long sur son agacement puis avoua « Hou, c’est compliqué ça, je ne peux pas y toucher. » et se dirigea vers sa voiture pour repartir sans même dire au-revoir. Il n’était pas en mission officielle pour moi, pourquoi se casserait-il la tête ? Je le comprenais.  
Sans doute pris de remords car s’il n’était pas très sûr de lui, il semblait très serviable, il revint sur ses pas : « Bon, allez, j’ai un boîtier dans le véhicule, plutôt que fouiller dans l’autre, je vais le changer. »

Il retira sa veste bleue la posa parterre contre la cloison et se laissa tomber dessus à genou. « Crac ! » Il avait ses lunettes de soleil dans la poche et aussitôt, me reluquant en contre plongée, il me reprocha :

– Voilà, maintenant vous allez me faire casser les lunettes !

J’ai feint triste mine, plutôt désolé, je lui fis remarquer que je n’y étais pour rien. Ses lunettes étaient vraiment brisées.

Il changea le boîtier puis testa la tonalité. Rien, pas un souffle. Il était déjà tard pour lui qui avait une tournée à assurer. Il se donna un peu de courage :

–  Bon ! Voilà ! Vous savez, c’est normal. C’est un système électrique, il faut qu’il chauffe un peu, (je crois qu’il voulait dire « qu’il charge ») vers quatre heures ça devrait marcher. Sinon vous appelez le dépannage.

Il ramassa ses affaires et se dirigea vers sa voiture. Je tente un dernier coup :

– Vous avez vérifié les fusibles ?
– Quels fusibles ? Il n’y en a pas !
– Si, ils sont dans la salle de bain.

Il fit demi-tour, se hissa jusqu’aux fusibles, brancha un téléphone et là… sourire épanoui. Le circuit fonctionnait. Durant mon absence annuelle le système traditionnel avait été rétabli sur la ligne extérieure, il suffisait donc de retirer le boîtier à hautes fréquences et installer une fin de ligne normale. Ce fut fait. Notre homme retrouva son sourire et toute son assurance.

Il avait changé de visage. Il était devenu savant en téléphonie et n’arrêtait pas d’expliquer. Lorsqu’il me tendit une poignée de fusibles en cas de panne, j’ai machinalement joué le naïf. Sans le faire exprès mais presque pour lui donner un peu de crédit, j’ai demandé :

– Comment on fait pour les changer ?

Tout heureux de rencontrer tant d’ignorance, il se tourna vers ma femme avec un sourire désolé :

– Hou ! Hou ! Vous voyez, les hommes d’aujourd’hui ne savent plus rien faire.
Il suffit de regarder les autres fusibles avant de les enlever… Hou ! Voila !

Tous ces « Hou ! » et « Voilà !» d’exclamation mais presque interrogateurs, trahissaient l’âme d’un fataliste.

Redevenu sûr de lui, je suis certain qu’il est reparti fier du travail accompli et content d’avoir dispensé son savoir au profane que j’étais. Je n’ai pas manqué de le féliciter et plus, vous l’imaginez.

C’était bien l’homme qui mettait les téléphones en panne définitive. Je n’ai pas eu à m’en plaindre, le mien a toujours très bien fonctionné… sauf que comme dans la chanson : « Simon y a l’ téléfon qui son et y a jamais personne qui y répond… » C’est vrai, je ne réponds jamais et cela intrigue les personnes présentes qui constatent que l’appareil s’égosille à me klaxonner et que je reste parfaitement indifférent. C’est ma femme qui s’en occupe. Si je suis seul, je reste imperturbable…

Je vous l’ai toujours dit, je suis un curieux personnage, mon épouse m’appelle l’extraterrestre et d’autres aussi… Je n’ai ni portable, ni talkie-walkie, je communique avec le vent et les nuages, parfois nuages de fumée comme les indiens, mais qu’est-ce que je retiens bien les messages ainsi reçus ! N’est-ce pas ?

Tiens ! Y a l’téléfon qui son… Je suis seul, personne ne répondra !

Mince, je me suis trompé de poteau, il n’y a que réverbères…
 et pas d’téléfon !



2 Comments

    1. Ah ah ! Je vous avais prévenue, je suis un chjachjaronu, l’histoire est vraie.
      Cela s’est passé exactement ainsi.

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