Batignolles.

Il y a des noms comme ça.
Batignolles ça claque et ça intrigue.

Ce midi, j’entendais parler de Belleville, Ménilmontant, Montmartre et c’est à ce moment que Batignolles m’est revenu à l’esprit.

C’est encore une histoire de pétanque, presque un deuxième métier, un de ces épisodes qu’on n’oublie jamais.

Antoine était déjà un vieux monsieur. Un marseillais venu faire retraite dans un coin des Yvelines. Un homme à la verve toute provençale et à l’accent de la Cannebière bien marqué.
Nous fîmes connaissance de curieuse manière.
Il suivait une partie de pétanque et s’amusait de ma façon de jouer, surtout d’envoyer la boule qui suivait rarement la ligne droite. Il faut toujours que j’invente un trajet tarabiscoté pour prendre du plaisir et cela ne lui avait pas échappé.

D’emblée, il me tutoya :
– Dis-moi, tu ne serais pas boulanger par hasard ?
– Et pourquoi donc ?
– Tu as une drôle de façon de travailler les boules, avec ton coup de poignet, on dirait que tu es un maître pétrisseur !

Nous avons rigolé, il me suivait dans toutes les parties.
Notre marseillais était un sacré tireur, un gaucher redoutable qui allait cueillir la boule en lui tombant directement dessus, jamais en tirant devant. Son adresse naturelle et sa joie de vivre en faisait homme sans calcul, tout dans le spontané.
Il m’avait fait comprendre qu’il aimait ma façon de mener le jeu surtout lorsque l’équipe adverse semblait supérieure. Il fallait que j’embrouille par un jeu bizarre jusqu’à tirer à la rafle dans le tas pour tout chambouler, ça le faisait rire, c’était une façon de se défendre contre des plus forts. Cela réussissait parfois. Bref, il aimait bien ma vision et ma pratique du jeu.

Notre tireur d’élite impressionnait tant par son adresse que par son accent. Rien que sa signature vocale toute phocéenne sapait le moral des adversaires ordinaires.
Il avait une faiblesse de taille, il ne savait pas pointer.
Il trainait sa boule depuis ses pieds et faisait rire les oiseaux tant cette attitude dénotait avec son tir.
Lorsque je jouais avec lui, il attendait les instructions et s’il devait jouer le dernier, je lui demandais de tirer des boules hors du jeu pour se faire la main. Le risque était trop grand de le voir pointer, il était capable de nous faire perdre le ou les points que nous avions sur la mène à finir. Cela étonnait beaucoup les spectateurs sauf ceux qui nous connaissaient qui expliquaient la manœuvre aux autres. On ne s’ennuyait jamais, le jeu de boules devenait stratégie, tactique et donc nous intéressait davantage…
Ce tireur hors-pair avait un autre avantage, celui de frapper sur les distances extrêmes, autour de 10 mètres.
Homme placide et souriant, sûr de lui, il ne tremblait jamais. Il semblait posséder la paix de l’âme et de l’esprit.

Je me souviens d’une anecdote. Nous étions en finale contre d’anciens champions des Yvelines. C’était un samedi vers minuit, il tombait des cordes. Antoine s’était abrité sous un balcon et roulait cigarette sur cigarette. Bien trempé, on aurait dit un petit animal écorché.
L’arbitre, s’était approché de moi et me dit, en douce : « Ne jouez pas, arrangez-vous, demain matin, je me lève tôt pour aller sur un autre concours. »
Evidemment, j’étais bien content, car regardant nos finalistes durant la partie précédente, j’avais dit à Antoine : « Là, c’est une autre paire de manches. » Il a haussé les épaules.
J’étais en train de négocier, nous leur laissions la coupe et les points des vainqueurs… Lorsqu’ils ont vu Antoine recroquevillé dans un coin, ils n’ont plus voulu d’arrangement et nous avons joué. Notre tireur les a ridiculisés, ils ont perdu 13/1, la coupe, les points et l’argent du partage. Ce fut une partie mémorable, la coupe convoitée par les adversaires mesurait 80 cm, une statue ailée. Ils ont essayé de me la racheter, je suis resté de marbre.

Batignolles, ah ! Batignolles ! Ce fut encore une journée mémorable.
Nous étions sortis de notre département pour jouer dans un concours sur l’Ile de Puteaux. C’était la première fois. Là, nous n’étions pas connus.

Dès les 32e de finale nous affrontâmes une équipe des Batignolles, on nous avait promis la rouste. Antoine était aux anges, il ne pipait mot et plus on lui promettait une raclée et plus il semblait imbattable. Il arrosait, je crois même qu’il n’a pas perdu un tir ce jour-là. Jusqu’à la finale nous avons rencontré cinq équipes des Batignolles successivement et à chaque fois, la nouvelle était annoncée plus redoutable que la précédente.

L’assurance avait changé de camp, les inconnus que nous étions étaient devenus des champions difficiles à battre. L’équipe finaliste allait subir le même sort que celles du même club, passées à la casserole. Une finale vite expédiée encore un 13/2 comme si nous étions abonnés à ces scores massacrants.
Evidemment, je ne vous raconte que les bons moments, nous avons pris notre part de râclées aussi.

Devant cette doublette sortie de nulle part, de nombreux spectateurs sont restés regarder la dernière partie. Nous fûmes très applaudis et jamais chahutés pour favoriser les équipes connues.
Un souvenir souriant et ce mot « Batignolles » résonne encore comme un claquement de boules.

Un jour, Antoine me dit : « Si tu as un problème et que tu dois être opéré, ne te laisse pas toucher, les chirurgiens sont des bouchers ! »
Il a laissé sa vie sur une table d’opération, sur un dernier carreau, sans doute.

Je l’aimais bien mon Antoine Martinez.

Pour le plaisir, voici quelques images de joueurs locaux.

Don Jacques, le geste auguste du pointeur. (C’est un tireur le plus souvent)
Laurent et ses supporters attentifs.
Jean-Claude appréciant la distance…
Le cogito. (On pense donc on suit… la boule 🙂 )
Dominique se fait du mouron.
Pierrot (casquette à la main) m’a fait signe. Aio ! Pidacci anc’a nò ! (Prends nous aussi…)
Christian Fazzino, un champion venu d’ailleurs.

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