Siki, on l’appelait Siki. Il aurait voulu devenir boxeur sans avoir vu la moindre image et sans jamais avoir lu le moindre article puisqu’il ne savait pas lire…
Son idole, à la suite de l’épisode di a Piazzona portait le nom de Battling Siki, boxeur noir d’origine sénégalaise (1897/1925) mort assassiné de deux balles dans le dos. Il avait battu Georges Carpentier par KO à la sixième reprise. Disqualifié par l’arbitre puis déclaré vainqueur vingt minutes plus tard sous la pression de la foule.
Siki, mon père, était fortement basané surtout l’été, toujours exposé au soleil.
C’était un homme pas comme les autres, il était analphabète, l’éboueur du village.
Il arpentait les rues de Lévie avec Roland son âne blanc et son tombereau tagué de « Vive De Gaulle » traquant le moindre bout de papier sur la voie principale.
Roland qui succédait au vieux Campo, était mécanisé, dressé aux facéties de notre homme, loin d’être têtu comme un âne ordinaire. Il le suivait partout, obéissant au moindre geste pour avancer, s’arrêter, tourner à droite, à gauche ou attendre devant le bar du Progrès, le temps que son maître avale un café.
Jamais, il n’allait à hue et à dia, ils étaient trop complices pour que mon père lui parle comme à un âne.
L’été, Siki devenait la vedette locale, suivi par les touristes durant sa tournée. La gente féminine, surtout, l’accompagnait, kodak à la main, suivant ses facéties jusqu’à la décharge municipale à la sortie du village côté San-Gavinu.
Des dames en technicolor et paillettes (chapeaux de paille) en quette de couleurs locales très friandes des pantalonnades de notre duo.
Toutes ou presque lui promettaient des photos qui commençaient à arriver dès le début de l’automne…
Alors qu’il était jeune homme, Il avait défié à combattre à mains nues, sur la place de l’église, un jeune de son âge qui l’avait insulté. Ce jour-là, l’assistance était nombreuse, déjà vedette locale, il était soutenu par les spectateurs qui faisant allusion au combat Siki contre Carpentier, se mirent chanter à l’issue du défi : « De Siki à Carpentier, c’est Siki qui a gagné ». Son adversaire ne fit pas un pli, à ses dires. Ce surnom le poursuivra toute sa vie, perdant au fil du temps la trace de son origine, de sorte que l’on crut que c’était son prénom.
Cette attraction poussera sa notoriété dérisoire jusqu’à figurer sur une carte postale, une des premières en couleur dont il était si fier. C’est la seule fois où je l’ai vu sérieux comme un pape triste… Cette occasion ne devait rien laisser transparaître du guignol qu’il était, pourtant.
La carte faisait sa gloire et la postérité mérite un peu de tenue, pensait-il.
L’après-midi, il devenait le « pauvre Martin pauvre misère » de Georges Brassens.
Pour compléter ses maigres cinq franc du matin, « il retournait le champ des autres, toujours bêchant » … il était du genre à « creuser lui-même sa tombe et s’y étendre sans rien dire pour ne pas déranger les gens».
Toujours souriant, toujours content d’avoir remué les mottes plus vite que ses compagnons de labour… quitte à gagner moins, puisqu’il travaillait à la journée.
Non pas bête, mais fier de ne pas tricher, de ne pas s’économiser, de s’échiner : la vie filait, il filait avec elle.
Le jour du palmarès à mon lycée, il m’a accompagné en taxi. Nous étions seuls, alors que d’ordinaire, un taxi se retenait à plusieurs. Lorsque j’étais sur l’estrade, il me faisait des gestes et se tournait à droite, à gauche pour voir la réaction des gens.
A notre retour au village, il a demandé au chauffeur de nous laisser à l’entrée, juste après la panneau Lévie.
Je ne comprenais pas et je dus faire tout le trajet jusqu’à la maison avec mes « trophées » dans les bras. Lui, fier comme un préfet en visite dans les quartiers, disait : « Vous avez vu, vous avez vu ? » Ce fut ma plus grande honte…
Il était mon père, j’étais sa revanche … il a été ma chance.
Il était impatient de voir ma maison, hélas, il est parti trop tôt, deux mois seulement avant la pose de la première pierre.
« Casa Siki » est désormais le refuge de son souvenir.
Détestables touristes qui se permettent de prendre les gens comme des bêtes de foire, heureusement votre papa le prenait avec recul et humour.
Votre teste est très émouvant, jolie page.
Mon père était un clown et donc, il lui fallait, un public.
A part l’histoire de la chèvre qu’il m’a plu d’écrire, vous le retrouverez dans ces textes, avec des redites.
Voici d’autres liens., évoquant ces temps là
https://simonu.home.blog/2019/12/22/roland-2/
https://simonu.home.blog/2020/01/31/une-chevre-en-amodiation/
https://simonu.home.blog/2019/12/23/et-la-tantina-de-burgos-ole-2/
https://simonu.home.blog/2019/08/28/mon-pere-etait-un-artiste-2/
Merci, bonne soirée 🙂
Depuis tant d’années, c’est seulement hier que j’ai découvert ton blog. Je me délecte de ces lectures qui me font remonter le temps et me transportent dans mes souvenirs d’enfance. Je ne peux m’empêcher de faire des commentaires élogieux sur tes narrations car en plus de la fidélité des souvenirs, le trait de plume est tellement léger et distrayant que je ne m’en lasse pas. Merci de me faire voyager dans notre village d’antant.
Merci à toi de suivre le blog. 🙂
Bonne soirée.
Une erreur de création de compte a transformé Antoine Pini en thamarati.