U strumbulonu. (Le lance-pierres géant)

J’ai connu la guéguerre avec la maréchaussée, c’est presque une résultante, là où il y a gendarme, il a rébellion. Ce n’est pas un parti pris, c’est une simple remarque, cela a toujours existé.

Lorsque nous étions gamins, allez savoir pourquoi, beaucoup de jeunes ne portaient pas les enfants de gendarmes dans leur cœur, souvent ce fut le conflit plus ou moins larvé et quelques fois franchement déclaré. A travers ces gamins de notre âge, certains enfants de nos quartiers s’en prenaient à l’institution.

La compagnie en vadrouille dans les quartiers, n’était pas très appréciée et notamment dans ma famille.
Un grand oncle braconnier qui passait ses journées et parfois ses nuits dans le maquis ne pouvait pas les voir en peinture.
C’était un colosse qui n’avait peur de personne.
Un jour, surpris à pêcher sans permis, il expédia deux pandores à la flotte avant de détaler, on l’a cherché pendant des mois alors qu’il était planqué dans notre grenier au cœur du village (à la Sorba rue principale). Même nous, nous l’ignorions, la filouterie était sa seconde nature.
Lorsqu’il sut qui l’avait dénoncé, il se rendit chez la balance vers minuit, cueillit son fusil sous le lit et le fracassa sur un rocher à deux pas de sa porte.
J’ai raconté cette anecdote plus en détail dans un texte qui lui était consacré.
Dans le secret de sa chaumière, l’hiver devant la cheminée, il adorait me raconter ses frasques dans le détail. C’était un personnage haut en couleurs qu’il valait mieux avoir dans son camp que contre soi…

Une autre branche de notre famille, « i Bascheri » (les ustensiles, se lit « i basquéri ») était surnommée par dérision, en français, « les ustensiles en mouvement » à cause de leur activité bruyante et parfois menaçante sans jamais passer à l’acte. Lorsque quelqu’un se plaignait de leurs débordements, le chef de la gendarmerie apprenant que l’on parlait d’eux, las d’intervenir pour rien à chaque fois, avait pris l’habitude de répondre « Ah, ce sont les Basquères, laissez-les faire ! », autrement dit, ils aboient mais ne mordent pas… Dans ses propos la rime était parfaite, on ne sut jamais si c’était volontaire ou coup d’bol.

Bref, la maréchaussée était très invasive, omniprésente, beaucoup trop aux yeux de certains.

La brigade avait fort à faire avec certains jeunes qui avaient déclaré la guerre aux enfants de la caserne et décidèrent, un soir, de s’en prendre au casernement.
Le jour qui précédait l’assaut était consacré à l’installation « di u strumbulonu » (lance-pierre géant). La fourche taillée dans un chêne avoisinait le mètre de hauteur, une fois le manche profondément planté dans le sol. Tout était calculé, la force des élastiques comme la position inclinée pour atteindre l’objectif qui se trouvait plus en hauteur. Un gros morceau de cuir prélevé dans une vieille sacoche accueillait des projectiles hors normes, de gros cailloux, et deux chambres à air de vélo entières servaient d’élastiques. Une arme redoutable destinée à toucher les fenêtres depuis « a chjusedda », un espace en friches situé face au bâtiment, légèrement en contre-bas. L’engin propulseur était installé à une vingtaine de mètres de la gendarmerie. Tous ces préparatifs s’effectuaient dans la discrétion pour ne pas éveiller les soupçons. Le reste du bataillon se préparait pour la salve de billes en terre cuite projetées aux lance-pierres classiques.
L’attaque se produisit après la tombée de la nuit.

Le premier bombardement fut bref et intense surprenant les militaires dans leur tranquillité.
Dans l’urgence, ces derniers installèrent des projecteurs puissants aux fenêtres pour parer à une éventuelle deuxième attaque.
Cette dernière trouvaille mit fin à la guerre des croquants qui malgré leurs foulards pour masquer leurs visages, avaient abandonné fourche, cuir et caoutchouc pour échapper à l’assaut des gendarmes.
C’était un secret de polichinelle tout le monde savait qui étaient les commandants en chef de la manœuvre qu’on aurait pu nommer « bataille di a Chjusedda ».
Une guerre moyenâgeuse, si l’on oublie les projecteurs, sévissait au cœur du village bien avant les médiévales annuelles avec ses combats fictifs sur la Piazzona, pour de faux comme disent les enfants.

L’un des chefs de la rébellion, astucieux par ses trouvailles pour la guérilla, a fait carrière dans la police, quelques années plus tard.
Peut-être faisait-il ses classes de la sorte.
Je lui adresse un clin d’œil amical s’il se reconnait.

La guerre était à la mode. Le grand cerisier qui paradait à quelques mètres de la gendarmerie servait d’abri, l’été, pour les espions des autres quartiers lorsque ces derniers se livraient bataille. 
La taupe arboricole représentant l’Insuritu avait été repérée dans le feuillage, mal lui en prit, l’espion est rentré chez lui, tatoué d’impacts de billes sur tout le corps. La personne était courageuse ou inconsciente car elle tenait à son rôle d’éclaireur et se faisait pincer souvent.
Une fois dans un sureau, caché par la floraison et le feuillage, une autre fois au sol, planqué derrière un mur, l’audacieux se fit corriger sévèrement subissant des sévices plus cruels encore.
Chi tanti « guerre des boutons » ! (A côté, la guerre des boutons ferait pâle figure)

C’était la vie belliqueuse dans nos quartiers au milieu du siècle dernier…

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