La plus belle queue.

L’avantage du thème « les choses de la vie » c’est qu’on peut parler de tout. Passer du coq à l’âne, à ma guise. Je ne me doutais pas, en le déposant le jour de lancement du site, que cela m’ouvrirait les portes de l’écriture comme celle d’un saloon de western battant dans tous les sens.

Aujourd’hui, navigant comme souvent dans mon passé à fouiller tous les recoins pour cueillir une idée originale, je me suis retrouvé nez à nez avec l’anecdote qui suit.

Je travaillais en situation de laboratoire avec des enfants en grande difficulté scolaire ou de vie plus simplement. De temps en temps, je demandais l’autorisation de suivre un cours dans une classe pour me replonger dans la réalité scolaire. C’est toujours salutaire et bien venu de se frotter au concret, au quotidien qui est loin de ressembler au cocon d’une rééducation individuelle. Ce réalisme vous montre à quel point, il faut relativiser et surtout, se rendre compte des conditions qui peuvent entraver une progression. Cela exige la confiance de tous et au premier chef, celle de l’enseignant qui accepte de se mettre en scène. Ce n’est pas simple de s’exposer ainsi.

Pour rassurer mon monde, j’expliquais que j’étais là pour observer le comportement des enfants en situation scolaire et non pour inspecter en jugeant forme et fond, compétences et finesses d’un instituteur ou trice. Ce sont ces dernières qui acceptaient plus facilement. Généralement, je suivais un ou plusieurs élèves de la classe, cela me permettait de vérifier leur comportement en groupe et tirer quelques indications à partager avec l’enseignant. D’ailleurs, je faisais part de mes trouvailles de laboratoire à ceux qui le souhaitaient pour leur propre gouverne pédagogique.

Depuis une semaine, la maîtresse explorait les contes, et ce jour-là, le texte s’intitulait « La plus belle queue ».
Les enfants s’amusaient beaucoup et l’enseignante était aux anges.
Une grande foire réunissait les animaux les plus familiers qui concourraient en exhibant leur queue sur une estrade.
Il y avait le chat avec sa queue dressée, légère et aérienne qui s’agitait comme un essuie-glace s’il était content, le chien à queue balayette ou le renard avec son plumeau touffu.
Le cochon l’avait en tire-bouchon et toute petite mais elle était rigolote, « vrillante et fouinante ».
Un autre animal, je ne sais plus lequel, l’avait bien large au poil fourni, tout empanaché.
La vache la tenait pendante, bien basse avec un petit pinceau au bout. Elle était remuante de droite à gauche, fouettante en chasse-mouche.
Le cheval faisait le beau. Facile ! Il n’avait aucun mérite avec ses longs crins bien peignés.
La souris passait sur le podium sans trop de conviction, elle l’avait longue et fine. Quoique, ça peut toujours plaire, il faut de tout pour faire un monde…
La grenouille, anoure la pauvre, c’est-à-dire sans queue bien qu’elle ne soit pas eunuque. Que vouliez-vous qu’elle montrât ? Elle passa tête basse.
Le coq, fier comme un chippendale, parada, son meilleur attribut visible en faucilles colorées à faire craquer la plus indifférente des cocottes.

Mais qu’est-ce que tu racontes encore !

Toute cette littérature était exprimée presque en ces termes dans le texte original.
Mes tournures sibyllines l’ont à peine enjolivée et j’ai casé le batracien pour son originalité. Il ne figurait pas au casting puisqu’il n’avait rien à montrer.

Bref ! C’était un festival de queues et surtout aucun quiproquo dans l’assistance.
A cet âge du CE1, on se baigne dans le premier degré.
Mais au fond de la salle quelqu’un était capable d’accéder au deuxième. J’avais beau essayer de garder mon sérieux voyant cette dame joyeuse, ravie de constater que son monde était hilare d’innocence, mes yeux me trahissaient. Même le visage fermé, ils clignotaient de malice. Et la maîtresse brassait des queues de toutes sortes, les agitait pour faire rire son monde en parfaite ingénue telle une enfant de l’âge de ses élèves.
Elle me regarda.
Allez savoir pourquoi ?
Elle s’arrêta net.
Quel imbécile !
Quelle idée de me trouver là un jour pareil !
Je n’aurais pas dû troubler son onde, même sans le vouloir. Sa sérénité toute naïve, pleine de grâce, faisait tant plaisir à voir…

Réalisant qu’à quelques millimètres à peine de cette belle histoire, on pouvait y apposer : « Interdit aux moins de 18 ans », elle est passée à la leçon de mathématiques presque sans transition, complètement embourbée dans la surprise.
Déçus, car enchantés par l’histoire, les enfants rechignaient : « Non maîtresse, encore, encore un peu ! »
Le tableau passait au rouge.
Vous imaginez ? Elle venait de réaliser qu’elle s’enlisait et ne s’en sortirait pas…

Qu’il est doux de voir une maîtresse avec une âme d’enfant… Quel dommage de l’avoir tirée de son rêve rempli de poésie. Je m’en suis voulu de l’avoir ainsi troublée car je crois que depuis ce jour-là, plus jamais les enfants n’entendirent parler de belles queues.

Voilà ce que c’est d’avoir l’esprit tordu….
Tordu ? N’y songez pas !

Moralité : Dans les écoles ont aime bien les contes, la mathématique et la science sont trop laissés-pour-compte. 😉

Anoure, anoure, oui je n’ai pas de queue… et alors ?
Mes têtards en ont une belle, qui ondule avec grâce et légèreté !
Ça tu ne l’as pas dit !
Des histoires comme celle-là, il faut être béni des dieux coquins pour que ça vous tombe dessus…

3 Comments

  1. Très joli, c’est en même temps plein de délicatesse et de malice, je ne regrette pas le détour. Bien aimé aussi au passage l’image de la porte de saloon pour l’écriture.
    Je pense que vos élèves ont eu bien de la chance de vous avoir comme maître et qu’ils doivent encore se souvenir de vous.

  2. Ah ! Si vous connaissiez toute l’histoire ! Vous seriez étonnée comme les lapins d’Alphonse (Alphonse Daudet dans « Installation »)
    Je vous en dis juste un petit bout.
    J’avais demandé à rentrer en Corse avec la motivation suivante : « Comme Ulysse, plein d’usage et raison, je souhaite rentrer dans mon département d’origine pour y apporter ma contribution durant le dernier tiers de ma carrière. »
    Ce n’est pas ça qui a influencé la décision, j’étais bien noté mais je voulais garder mon authenticité jusqu’au bout.
    Figurez vous qu’en arrivant en Corse, il n’y avait pas de poste pour moi. Je me suis retrouvé dans une classe de l’école de mon enfance. J’avais connu les parents petits, ce furent des années inoubliables bien qu’il fallut refaire mon apprentissage de la pratique d’une classe. J’avais tout un passé à détruire, ce que n’a pas à faire un débutant…
    J’ai retrouvé dans l’école la dame qui me tenait dans ses bras à la maternelle sur une photo que je garde précieusement (elle avait 14 ans et moi 4). Ayant des années à rattraper puisque pas déclarée, elle dut prolonger sa carrière. Nous sommes partis à la retraite ensemble.
    Ce n’est pas courant n’est-ce pas ? Pour moi, la boucle était bouclée.
    Bon, je vous laisse tranquille soyez heureuse la vie est belle 🙂

  3. Belle histoire, voilà une vie qui a tout son sens.
    Oui la vie est belle, ces temps perturbés nous ont fait prendre conscience que nous y tenons!

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