Un tyran de porcelaine ou le Roitelet.

Le « roitelet » ne souffrait d’aucune carence matérielle et semblait échapper à la carence affective également, en apparence seulement. Très fusionnel avec sa mère, il était vénéré à l’excès par celle qui n’était que la marionnette de sa vie. A l’école, totalement inactif, il tuait le temps en attendant la sortie de l’après-midi pour reprendre les commandes chez lui. Il ne souriait jamais donnant l’air d’être constamment préoccupé par d’autres soucis.

François (7 ans ½) vivait seul avec sa maman, très assidue aux entretiens. Visiblement consciente des résistances de son enfant, elle se montrait totalement inefficace pour l’accompagner et gérer leur situation conflictuelle latente. Un « couple », mère/enfant, sans difficultés financières, accompagné de surcroît, par une assistance sociale conséquente. Presque une armada, beaucoup de monde s’apitoyait sur leur sort et volait à leur secours. Dans sa fragilité profonde, la maman prenait tous les avis qui venaient d’un psy, d’un toubib ou d’un enseignant et ne retenait que celui qui lui « convenait », qui la rassurait un instant. Comme les Danaïdes, elle remplissait un tonneau sans fond pour un éternel recommencement.
Une dame perdue que l’on embrouille en la conseillant, sans se rendre compte que « bonne intention » n’apporte solution. Elle avait cette faculté d’entraîner dans son gouffre ceux qui la soutenaient. A leur tour, ces derniers participaient à un « double leurre ». Elle se leurrait et leurrait les autres en faisant du surplace. Elle écoutait sans entendre et en redemandait encore et encore. Avec cette attitude de fausse écoute, elle finissait par les convaincre tous d’être encore plus présents. Une manipulatrice inconsciente pleine de chaleur froide, affichant le désir de « s’en sortir», sans doute paralysée de se retrouver seule face à face avec son fils et leurs non-dits…

Elle transportait son enfant sur un porte-bagages de vélo spécialement aménagé pour lui avec dossier et accoudoirs. François trônait à cette place, le buste droit, la tête haute, d’une immobilité pharaonique comme pour afficher la stabilité des choses. Elle le déposait devant la grille de l’école et suivait ses évolutions dans la cour, le tenant en laisse avec son cordon ombilical invisible mais d’une élasticité remarquable. Elle lui envoyait des baisers par la voie aérienne et ces derniers ricochaient sur la joue de son enfant jusqu’à ce que le rang de sa classe disparaisse dans le couloir. Bien souvent, François quittait précipitamment son rang pour aller quêter un dernier baiser tout chaud dont l’effet ne s’estompait qu’à l’heure des mamans. Ainsi, ce dernier tout frais, puisque tout chaud, suivi d’autres plus frais, tissait autour de lui un cocon toujours plus dense différant perpétuellement la mutation de cette chrysalide. Après un temps de gestation beaucoup trop long, un faux bourdon est sorti de ce cocon alors que l’on attendait un joli papillon. Aujourd’hui François est un jeune tyran pour sa mère. Il a pris la trop grande place vide du père qu’il n’a jamais eu, jamais connu, un géniteur toujours tu.  La reine couveuse avance désormais au pas cadencé.

Voici son le début de son parcours scolaire.

S’il n’avait été si minuscule avec sa houppette blonde pour mieux ressembler à son idole Tintin, on l’aurait probablement appelé « le pacha » ou « le mandarin ». Tout se passait, avec lui, comme si le temps s’était suspendu afin que ses bras et ses jambes restent petits, inadaptés aux tâches profanes. Sa mère chargée de culpabilité l’avait tant couvé pour en faire un objet de culte qu’il semblait fragile comme le cristal ou la porcelaine, transparent. Ses veines couraient partout à travers sa peau laiteuse presque cadavérique. Une fragilité apparente doublée d’une agressivité et d’une autorité insoupçonnées, en privé. Toujours à la dernière mode, enjolivé, pomponné, adoré, le roitelet régnait sur sa mère mais paraissait dépaysé, complètement inadapté aux premiers apprentissages scolaires d’ici-bas. Ses petites mains soignées n’osaient même pas ôter le blouson qu’il préférait garder sur lui de peur de ne plus savoir le remettre. Ses petites jambes trottaient menu, juste le strict minimum pour se mouvoir utilement. Lorsqu’il fallut tenter d’écrire des lettres, celles-ci avaient du mal à prendre forme car ses doigts ne parvenaient pas à faire danser le stylo au rythme de la farandole de l’écriture. Sa bouche habituée à gazouiller pour que mère puisse jouer pleinement son rôle de maman couveuse, avait gardé un « parler bébé » afin qu’aucun doute ne subsiste sur son statut de « bébé retard ».

Pourtant son intelligence était certaine et son œil, tour à tour, vif, inquiet, interrogateur éclairait tout ce que son corps ne pouvait exprimer. Quelque chose pétillait dans son regard comme un appel au-secours, car son corps carcan ne lui permettait que de voleter, alors que son esprit demandait plus d’espace pour s’envoler au royaume des oiseaux où l’on ne montre plus les roitelets du bout des rémiges.

Le samedi était jour de plaisir. Il se faisait accompagner dans le plus grand centre commercial d’Europe de l’époque en région parisienne… il lâchait la main de sa mère et disparaissait dans la foule jusqu’à la fermeture. Maman se prêtait à ce rituel sans faire d’appels au micro, une entente tacite pour que son fils vive et soit. Ils se retrouvaient le soir et repartaient heureux  « de s’être  compris ». Il se nourrissait en rusant au milieu d’une foule qui l’ignorait et qu’il avait appris à « pratiquer » sans être remarqué.

Il ne manquait de rien, obtenait tout d’un claquement de doigts. Cet enfant fragile comme sa maman, est devenu tyran de porcelaine.

Sa mère menait une vie particulière pour subvenir à leurs besoins. Femme de luxe et d’appartement plus que des rues, l’escorte demoiselle gagnait de quoi dépenser largement sans compter. Leur vie remplie de non-dits se jouait au chat et la souris car l’un comme l’autre avait compris que la face silencieuse n’était que partie de cache-cache. Par son comportement, François montrait qu’il avait tout décodé, il la tenait par la barbichette et cela paralysait encore plus sa mère. Elle a laissé beaucoup de larmes dans mon bureau, cherchant inlassablement à m’attendrir pour que j’agisse davantage à sa place. Semblant prisonnière de sa condition, elle avait oublié la musique et ne savait plus sur quel tempo danser.

Mon rôle se bornait à l’apprentissage de la lecture.
L’enfant faisait de la résistance en classe, ce ne fut pas trop compliqué une fois isolé, quelques petites séances par semaine suffirent largement. 
Pour le reste, la maman n’était pas encore prête à lâcher tous ces tontons, objets de leur conflit, à la fois larvé et frontal.
Une condition qui lui permettait de mener grand train de vie.
C’était sans doute trop tôt pour arrêter, elle rêvait de tout plaquer un jour et quitter la région.
En attendant, elle remplissait l’escarcelle.
Un jour, là-bas, personne ne la connaitra, personne ne saura… Mais qu’en sera-t-il de son enfant qui avait tout absorbé ?

Notre quidam François, roitelet de son faux état, vit peut-être des jours heureux forgés à cette école de la vie.
Peu lui importait l’égalité des chances et dieu sait si l’aide a été multiple… chacun y est allé de sa compétence supposée.
Et lui, construisait sa vie comme il pouvait.
Tu nous as souvent filé entre les doigts, comme celui du roitelet, ton nid avait deux entrées ou deux sorties, on ne savait jamais où t’attendre…
Je te salue mon ami 

4 Comments

  1. J’avoue que Le fennec m’a bouleversée, pour beaucoup de raisons dont la sensibilité avec laquelle vous parlez de ces enfants que vous avez tous aimés, on le sent bien à travers vos lignes. Vous avez été une bouée de sauvetage pour ces gamins, j’espère qu’il y a encore des personnes comme vous à l’EN…

  2. Les enfants sont malheureusement des éponges. Ils sont heureux lorsque des éducateurs intègres et passionnés de leur rôle croisent leur chemin. Bonne nuit Simonu

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