Ah la la ! La fête de la saint Laurent à Lévie ! C’était quelque chose !
Aucun expatrié n’aurait manqué ces jours de mi-août à la Piazzona ou dans les rues du village. Pour rien au monde, la diaspora n’aurait manqué la fête patronale.
C’était sans doute la seule période où toutes les personnes originaires d’ici se rassemblaient à Lévie.
Il ne devait pas manquer grand monde, quelques cas de force majeure mis à part.
Ils étaient tous là pour revoir la minnana, le missiau, la mamma, le papa, le tonton, la tantine de Burgos, les cousins, les cousines et tout le quartier.
Immanquable rendez-vous estival, au risque de sombrer dans la dépression pour tous les mois d’attente du séjour prochain.
Cela nous est arrivé une année. Nous avions averti les cousins d’Ajaccio, mon cousin Pulinu que tout le monde connait ici. Nous lui annoncions que nous resterions à Versailles, les temps étaient difficiles et nous devions raison garder. Juste une info pour qu’ils ne nous attendent pas cette année-là. Mais ce n’était que partie remise pour l’été suivant.
Une semaine plus tard, nous recevions deux billets de bateau en première classe, s’il vous plait !
« Pas question que vous ne veniez pas chez vous cette année », avaient mentionné Paul et Maryse en accompagnement des billets. Pulinu nous attendait sur le quai d’Ajaccio et nous raccompagna jusqu’à Lévie. Je m’en souviens comme si c’était hier, il klaxonnait dans tous les virages pour éviter l’accident afin que nous arrivions chez nous entiers, sans la moindre égratignure.
Comment voulez-vous oublier ces choses-là. Mon cher cousin est un homme sans travers, il est droit et ne sait pas mentir. Je ne l’imagine pas racontant le moindre bobard, trompant quiconque de sa connaissance ou non. Intègre le bonhomme, juste et sans fioritures. Je n’ai jamais rencontré une personne brute de tempérament comme lui. Je veux dire d’une authenticité remarquable et peu commune, peu rencontrée. Un caractère entier et inconditionnel envers tous ceux qu’il aime. Il m’appelle « mon frère », nous nous sommes compris, il est plus démonstratif que moi mais dans mon for intérieur, il est mon frère aussi. C’est rare les hommes qui ne trichent pas et sont intègres de la sorte.
Si vous saviez comme il a couvert et encaissé tous les coups tordus dirigés vers la famille, c’est lui qui les réparait en prenant sur lui les dégâts commis par les autres. Il n’en parle jamais, c’est parce qu’il aime les siens et rien ne compte plus pour lui, que la famille.
Ce matin, je regardais l’enclos des poules. C’était un paysage lunaire complètement rasé. Pas le moindre brin d’herbe et les poules s’ennuient à mourir, dans ces conditions.
Chaque jour, je leur apporte de l’herbe fraîche arrachée dans les environs immédiats. Pouf ! Des brassées et des brassées d’herbe, des touffes avec la motte de terre aussi. Alors là, vous les verriez qui s’agitent pour picorer le moindre petit grain d’argile, le moindre petit caillou venu de l’extérieur, ce sont les meilleurs !
Et elles grattent, elles pédalent dans les herbes avec une frénésie qui fait plaisir à voir. Elles sont heureuses, elles gloussent quelques mots à mon endroit. Des mots qui viennent du jabot, remplis de satisfaction… Je sais qu’elles disent « Il est épatant ce Simonu ! » et je n’en demandais pas tant.
Chaque matin, lorsque j’apporte plein de verdure, c’est San Larenzu au poulailler !
Je revois Gugus, u bracci muzzu, Babunettu chef d’orchestre de ces fêtes… Les cyclistes, Raymond Giovannangeli et Subreru, Cisarucciu et Fanfan Bartoli qui débouchaient dans le virage de la Pergola au coude à coude et qui se lançaient dans un sprint interminable jusqu’à la fontaine de Vichy.
Et puis le bal, mes premiers émois, les demoiselles ratées, toutes celles qui visaient le plus gominé, le plus costaud, le plus frimeur qui n’était pas toujours le plus sûr de lui.
Il fallait bien apprendre la vie…

La musique montait dans la nuit, certains s’envolaient avec elle, d’autres rêvaient de fées enchantées.
