Les satellites qui tournent autour de la planète renvoient des images rassurantes.
L’atmosphère terrestre semble souffler un peu par ces temps de confinement, à quelque chose malheur est toujours bon.
L’air respire enfin. Il s’étouffait, toussait, crachait des gaz impossibles. Il allait mal, très mal et cela allait mal finir.
C’est fou que l’on en soit à dire que l’air respire et non qu’on respire le bon air.
Le monde est enfermé.
On dirait qu’un virus savant, sachant la planète en danger d’asphyxie, se soit fâché en nous intimant l’ordre de mettre le monde en jachère. D’arrêter de pomper comme des Shadocks en furie qui pompent comme des malades.
Un virus couronné, de surcroît, comme on couronne un roi ou la madone au mois de mai.
Le mois le plus beau dit la chanson qui accompagne le cérémonial.
Les premières cerises que l’on dit précoces mûrissent exactement à cette période et le jour du couronnement de la mère de Dieu donnait le coup d’envoi aux premières dégustations.
Il n’y avait que quelques cerisiers précoces dans le village, ils étaient parfaitement identifiés par tous les enfants. L’attente était longue, une année sans cerises, c’était presque intenable. Chaque quartier visait son arbre.

Pendant que l’église était pleine à craquer, remplie de fidèles en habits du dimanche et tenues de soirée, des éclaireurs allaient voir si les familles possédant cerisier précoce étaient bien à l’église. L’information filait rapidement et ceux chargés du chapardage se gavaient sur place avant d’arracher quelques branches pour les copains qui attendaient sur la route afin de les avertir d’un retour prématuré du propriétaire.

C’était un rituel bien établi, tout propriétaire de cerisier précoce qui mettait les pieds à l’église le soir du couronnement risquait la chaparde.
Une année, une famille méfiante, plus inventive, crut bon de laisser la lumière allumée, le transistor à fond et la fenêtre ouverte. Hélas, ces gens n’avaient pas imaginé que la sentinelle venait les compter à l’église pour voir si tout le monde était bien présent à la cérémonie du mois le plus beau, écoutant : « Vierge Marie, je te confie cette couronne, au ciel, n’est-ce pas, tu m’la rendras… » Les chapardeurs, une fois la cueillette terminée, sont entrés par la fenêtre, ont arrêté la radio et éteint la lumière… La surprise fut totale.
Cette affaire de chaque fin de mai était parfaitement connue de tout le monde. Ce n’était un scoop pour personne. Les enfants qui fréquentaient l’église, assidus du confessionnal en fin de semaine, tenaient là leur péché favori. Lorsqu’ils ne savaient plus quel travers inventer pour gagner quelques « Je vous salue » ou « Notre père » à réciter en pénitence, avouaient avoir dérobé des cerises et mentionnaient même l’endroit précis pour être plus crédibles. Les enfants de la Navaggia allaient plutôt chez Antonu Cardinali tout proche, et ceux de l’Insoritu plutôt à Vitalbettu.
Le curé connaissait ses ouailles.
Je n’échappais pas à la règle, je m’accusais de ce forfait alors que je n’avais jamais craché le moindre noyau d’une cerise précoce, directement installé sur l’arbre le soir où l’on fête la vierge Marie.
Il m’arrivait de m’accuser de la même faute hors saison.
Je disais que j’avais oublié de le signaler en son temps.
J’en ai récité des « Je vous salue Marie » pour des prunes, sans l’avoir trahie le soir de son couronnement.
Au fait, je parlais de quoi ? Ah ! De couronnement ? Vous voyez, je m’égare facilement et on se promène hors propos…
L’air est donc plus sain, remarquent les satellites.
Pourvu, qu’avec cette réalité, l’homme devienne plus raisonnable mais ce n’est pas dans ses habitudes. Je parie, que très vite, il va sombrer dans ses mauvais penchants, il se croit intouchable et pense que le monde lui appartient.
Sans trop faire de vagues, la planète se révolte et puis sans prévenir, se met à rugir.
Gare à ces cris soudains, un jour il sera trop tard…
J’ai profité de cet air plus sain pour vous enseigner l’art du saut et de la gambade dans les idées.
Les plus lettrés disent « la digression ».
J’adore attraper au vol une idée qui passe par là et n’a rien à voir avec le contexte.
C’est comme si je conversais avec une personne et qu’un oiseau venait, sans prévenir, se poser sur mon épaule.
