Joséphine et sa copine.

Même les jours de disette, il y en a encore.

Je cherchais un sujet d’écriture pour nourrir mon blog pourtant pas trop affamé. Bien au contraire, beaucoup trop nourri. C’est ainsi, je suis un boulimique de l’écriture. Figurez-vous que lorsque je n’écris pas ici, j’écris ailleurs ou pour d’autres. Je suis un peu comme ces gens qui ne peuvent se passer, un seul jour, de jouer à la belote. C’est ma belote à moi.

Je crois que j’ai eu une vie extraordinaire. Rien ne me prédisposait à avancer, à rebondir encore et encore dans les coins les plus invraisemblables de la vie. J’étais partout à la fois et personne ne me voyait, la moindre rencontre était, pour moi, un évènement. Je m’en rends compte aujourd’hui. J’ai le temps de cogiter.
C’est en me remémorant mes vingt ans que je réalise ce parcours inouï pour un personnage effacé, insignifiant, que je fus longtemps, qui clignotait comme une luciole pour signifier son existence.

Ma rencontre avec Toussaint presque improbable, à la faveur de l’épisode de « La gabardine » fut déterminante. A son décès, j’ai fait graver une petite plaque sur laquelle figurent ces simples mots : « Un crêpe noir à la gabardine » et puis c’est tout. C’était la fin de notre histoire. Bien des gens qui n’ont pas lu le texte précité ont dû se gratter la tête en cherchant la signification de cette inscription énigmatique posée sur une tombe. Seuls quelques intimes en connaissent la raison.

Nous étions encore tout jeunes étudiants. C’est lui qui m’avait transporté, depuis ma Corse natale, presque de force jusqu’à l’université niçoise car mon gré penchait plutôt du côté farniente dans mon village. Finalement, mon farniente, je l’ai transporté avec moi et cela le mettait souvent en rogne. Il fallait bien une amitié solide entre nous pour qu’il me supportât de la sorte. En très peu de temps, j’étais connu de la diaspora corse de proximité dans le quartier François Grosso et ses environs immédiats. Il me trimballait partout comme un porte-bonheur que l’on prend plaisir à montrer. Je crois qu’une amitié pareille doit être rare. Il avait en moi, une confiance aveugle. Je le ressentais très fort de sorte que jamais, je n’ai trahi cette confiance. C’était impossible, c’est comme s’il m’avait fait naître une deuxième fois en me transmutant dans un autre monde qui me faisait peur et qui finalement m’éclaira fortement sur la vie. J’y ai perdu une grande partie de ma naïveté. J’étais un candide débarqué du fond de la Navaggia, habitué au chant des oiseaux, à la claire fontaine, aux jardins merveilleux… J’ignore comment j’ai pu encaisser les coups qui détruisaient progressivement tous mes rêves de bisounours.

Je baignais dans la bienveillance ambiante

 Joséphine, sa maman, était une seconde mère pour moi. Elle m’a protégé tout le temps que j’ai passé dans leur giron. Une femme attentionnée, souriante et surtout très soucieuse de ma condition. Elle me nourrissait. J’hésitais parfois à la rencontrer car je trouvais qu’elle en avait assez avec ses enfants. Ses trois grands garçons. Elle trouvait toujours une excuse pour que j’aille la voir aux alentours de midi alors qu’elle rentrait de son travail. Elle savait que je mangeais à la sauvette un peu n’importe comment. Elle me servait des salades de tomates comme elle le faisait pour son fils, enlevant les pépins, l’enrichissant d’olives et d’oignon rouge doux, d’œuf dur, le tout baigné dans de la bonne huile d’olive fruitée, ramenée de sa région de Sollacaro en Corse. Et pour que je ne perde pas mon teint poupon, elle m’appelait « bébé Cadum », elle poêlait des steaks larges comme des omelettes. Un seul prenait toute la poêle. De la viande d’un rouge vif et frais, brillante, servie bien saignante. Je n’avais aucune chance de tomber en inanition ni de me trouver un jour en état de faiblesse ou d’anémie. Qu’est-ce qu’elle était généreuse et douce ! Je revois encore son visage fortement ridé et son sourire épanoui constamment illuminant ses yeux. Mon apparition la réjouissait et déclenchait le récit de nos vies respectives. Souvent, elle riait aux éclats en observant mes mimiques. J’avais cette faculté d’étonner par mes comportements qui donnaient l’impression de sketches à chacune de mes interventions. Une allure de petit mustélidé ébahi qui découvre le monde nouveau.
Joséphine était la bonté personnifiée, j’étais l’ami de son fils donc j’étais son fils aussi. Je n’ai jamais oublié son sourire rempli de bonheur, j’avais l’impression de lui apporter un peu de joie dès que j’apparaissais chez elle.
Je m’en suis aperçu le jour où nous déjeunions tous les deux. Son fils Paul, croupier à Londres, était en vacances chez elle. Je ne le connaissais pas. Lorsqu’il est sorti de sa chambre en peignoir, il s’est assis dans un fauteuil juste en face de nous mais à bonne distance. Il n’a rien dit, il nous observait et semblait prendre sa part de bonheur en découvrant notre complicité. Un jour je l’ai fait rire. Toussaint me regarda et me dit : Il n’y a que toi qui a réussi à le faire rire, il ne rit jamais… Vous imaginez, si devait être drôle et surprenant !

Dans les parages immédiats, je crois, je ne me souviens plus exactement où, vivait une vieille dame nommée madame Marchi. La copine de Joséphine. Veuve aussi, elle vivait seule et Toussaint veillait un peu sur elle. Un jour, elle lui demanda de l’aider à déplacer un buffet. L’engin était sacrément lourd, je crois même que nous ne l’avions pas vidé. Je dis « nous » car il n’était pas question de déplacer une telle masse avec elle. J’étais là, à la rescousse. Nous venions de compter jusqu’à trois, les joues gonflées à bloc, nous soulevâmes le meuble d’un coup pour le déplacer vers l’autre pan de mur. La dame qui avait commencé à nous raconter sa rencontre avec son mari depuis un moment déjà, lâcha sans prévenir : « Ce jour-là, dès que j’ai vu cet homme, ce fut le coup de poudre ! ». Toussaint n’a pas résisté un dixième de seconde à la surprise du coup de poudre. Il éclata de rire et posa brutalement son côté de buffet. Toutes les assiettes, tasses et verres, en fort déséquilibre, se mirent à tinter de concert. Pendant de longues minutes mon ami ne put réfréner son fou rire, le visage cramoisi, les yeux fermés et la respiration suffocante. Il en pleurait. Lorsqu’il reprit ses esprits, il demanda à la dame de ne plus parler perdant le transport. Cela ne suffit pas à calmer ses soubresauts incontrôlables, nous parvînmes, tant bien que mal, à poser le meuble à la bonne place… C’était toujours amusant de l’entendre parler, elle avait quitté la Corse depuis fort longtemps mais en avait gardé les distorsions de langage…
Je crois que la poudre de perlimpinpin révéla son existence le jour du coup de poudre magique.

Voilà, comment un simple coup de poudre de Perlimpinpin, telle une traînée d’étoiles, me transporta dans le temps pour réveiller ce souvenir. Je n’ai point besoin de baguette magique, je nage facilement dans le passé, désormais vous en êtes convaincus.

Et comme disait notre chère Monique la québécoise : « Un rien vous allume ! » donc m’allume, j’espère encore beaucoup de riens à venir… Je n’ai pas fini de consumer, il me reste pas mal de cire à brûler.

Perlimpinpin ou Prelimpinpin dont l’origine inconnue remonte au milieu du XVIIe siècle est dans ce texte considéré comme un personnage qui titille ma conscience.

Photo : Nous apprenions à devenir des adultes. (Etienne et moi)

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