Quand on partait de bon matin
Quand on partait sur les chemins
Sans bicyclette…
Nous étions quelques bons copains
Y avait François y avait Alain
Y avait Antoine et puis Sylvain
Et nos claquettes….
Nous n’étions pas encore amoureux de Paulette.
Nous nous construisions sur les chemins…
Voici l’entrée des parcours de mon enfance.
Au bout de chaque chemin, une aventure.
C’est par cette voie que nous allions à la rivière en cachette de nos parents. Ils savaient, mais ils fermaient les yeux… Les plus téméraires d’entre nous plongeaient dans le trou « di u Diavuli » (du Diable), un lac profond, noir et bouillonnant à l’aplomb d’une cascade. De la sorte, une sélection s’opérait auprès des demoiselles. C’était à celui qui sauterait de points toujours plus hauts pour impressionner celles qui s’étaient aventurées jusque-là pour assister au spectacle de la séduction. Elles savaient que les solides, les téméraires, évoluaient là, sans doute les plus hardis du moment, les vrais coqs de la basse-cour fluviale. Avec le temps, les coqs cocoricotaient moins et les coquelets trouvaient leur place sur les hauteurs d’un rocher, bravant le risque pour conquérir le cœur des donzelles. C’était l’épreuve reine des mois chauds.
Tous les autres qui barbotaient encore, pataugeaient dans une longue piscine étroite, calme, créée par un barrage formé de grosses pierres entassées dans un étranglement du ruisseau. Un grand bassin sécurisé pour apprentis nageurs. Son nom était plus rassurant : « U San Paulinu » que certains traduisaient par « Saint Petit Paul ». C’est dans cette grande baignoire que nous faisions nos apprentissages, souvent aidés par les plus grands qui nous initiaient aux différentes techniques. Nous n’avions, pour la plupart, toujours pas connu la mer et pourtant, quelques-uns étaient déjà des virtuoses de la brasse sans le savoir pendant que les moins doués évoluaient péniblement en imitant la nage du chien (a ghjacarina) qui nous accompagnait parfois. Ce rituel estival permettait aux rares filles qui osaient s’aventurer jusque-là, de faire un tri pour ne pas dire un choix, entre ceux qui avaient déjà du nerf et les autres encore en formation, tendres ou mous, les timides. Nous étions en phase avec la nature et ses exigences, chacun l’avait compris, s’en accommodait tout en cherchant à évoluer dans la hiérarchie du moment… Savoir nager comme Tarzan était l’assurance de prendre place auprès d’une jeune fille, les moins doués tentaient d’autres approches en faisant les clowns, mimaient la noyade avec force éclaboussures ou jouaient avec de grandes gerbes d’eau pour tenter de les faire rire…
Celui-ci nous conduisait au lieu-dit des « deux fauteuils ». Deux grands « bacs » creusés dans le granit, épousaient parfaitement le corps en position assise, légèrement penchés en arrière. Nous rêvions d’un beau salon que nous n’avions pas chez nous. Nous observions le paysage qui s’offrait largement à notre regard et devenions gros propriétaires terriens en évoquant d’un geste large les limites de notre domaine qui s’étendait à perte de vue du Pinettu à a Tasciana. Puisque l’occasion nous en était donnée, nous en profitions copieusement et n’hésitions pas à exproprier à tours de bras. Nous prenions une sorte de revanche sur les rentiers en préemptant leurs domaines. Certains en profitaient pour draguer de toutes jeunes estivantes venues du continent en étalant leur fortune imaginaire. Le plus souvent sans succès, car nous étions encore immatures aux yeux des jolies blondinettes. C’est depuis cet endroit, à l’ombre d’un chêne, que nous est venue l’envie d’imiter les fumeurs de « Camel, Craven A, Royale, Balto » ou « Celtique » plus grosse que les autres. Nos pères aux revenus très modestes ne nous offraient que la vision quotidienne des gauloises sans filtre ou des Cyrnea. A défaut de chapeau, de cravate ou jaquette, certains s’élevaient légèrement dans la hiérarchie locale en arborant le paquet de gitanes avec filtre… Nos moyens du moment ne nous permettaient que de débuter tout en bas de l’échelle et ce n’était pas plus mal car nous passions par toutes les étapes sans en brûler une.
Nous avions effectué nos premiers essais avec une marque locale non commercialisée : la liane sèche (A vitarbula ou clématite vitalba). Le choix était vaste depuis la fine cigarette jusqu’au cigare imposant pour imiter le havane mais la fumée acide et très désagréable nous fit rapidement atteindre le grade de la « gauloise caporal ».
Ce troisième chemin, le plus secret, serpentait jusqu’à notre premier appartement. C’était un châtaignier centenaire qui avait brûlé de l’intérieur dégageant un espace suffisant pour trois personnes de notre taille et largement confortable pour deux. François qui était très habile de ses mains l’avait aménagé pour le faire ressembler à un salon. Petits bancs, petite table très basse, des boîtes de sardines clouées à l’intérieur de l’arbre nous servaient de cendriers. L’entrée triangulaire était étroite, nous n’avions accès à notre intérieur qu’en progressant à plat ventre. Ouvert à son sommet, le tronc ressemblait à un haut fourneau et constituait le seul point faible qui trahissait notre présence. La fumée de nos cigarettes s’évadait par ce conduit, nous entendions Annonciade qui cherchait ses chèvres, perplexe devant la fumerole, s’interrogeait : « On dirait que le châtaignier brûle encore ! » En revanche, le propriétaire de la châtaigneraie voisine qui passait par là, nous coinçait dans la souricière pour nous mettre à l’amende… Quelques menus services contre son silence vis-à-vis de nos parents et un sourire presque complice.
De nombreuses années après, notre habitation est toujours debout. Bien que le tronc soit totalement creux, des branches encore productrices de châtaignes se sont développées à la périphérie de l’arbre à pain comme on le désigne parfois. Pour moi, il n’a pas changé mais je doute qu’il m’ait reconnu car j’ai vieilli plus vite que lui et j’aurais bien du mal à regagner le salon de mon enfance… Désormais au bout des chemins de la vie, ceux de notre jeunesse, longtemps enfouis dans la mémoire, resurgissent les souvenirs à la faveur d’un passage devant l’entrée d’une sente que l’on n’ose plus emprunter. Ils sont encore vivaces, des images toujours fraîches, d’endroits aujourd’hui envahis par les broussailles. Je dédie ce récit à mes amis de jeux de naguère et à ceux qui, plus jeunes, n’ont pas connu cet autrefois…
Et puis tous les autres chemins… celui qui menait aux cerisiers…
Et ceux plus civilisés qui conduisent à la place de l’église et au cœur du village.