La banane.

Photo.  La douleur de la banane coupée en tranches.

Mon ami Louis qui vient régulièrement se ressourcer chez moi, aime bien prendre une respiration d’un autre temps. Nous avons pas mal bourlingué à notre manière, tirant des plans près de la buvette, sur la banquette plus que sur la comète en construisant du vent pour nous fabriquer une vie que l’on croit toujours meilleure. L’espoir fait vivre c’est archi connu, alors nous aspirons d’avenir en imaginant un coin nouveau, un autre truc vaguement censé favoriser les occasions de se retrouver plus souvent. Une illusion pour bercer nos rêves plutôt qu’une réelle utilité dont on a besoin.

Du temps où nous étions bâtisseurs.

Avec mon goût pour la cuisine et lui bon gastronome, nous passons plus de temps à table qu’à construire. Nous avons pris de l’âge, le temps de la rétrospective est venu. L’appel de la jeunesse lorsqu’on se fait vieux, sans doute. Nos jours vieillissants à ruminer un peu, certaines mauvaises langues disent à radoter, nous portent vers la dérision car nous ne sommes pas dupes. Rien de dérangeant dans les idées, juste un retour sur nos jeunes années que nous trouvons toujours plus belles avec le temps fuyant.

Du haut de la muraille, Louis contemple son travail.

Louis adore « u pizzatellu di casgiu » en fin de repas. C’est un rituel incontournable, il serait malheureux sans son petit bout de fromage, même dur à casser une dent. A ce moment du repas, il ne fait jamais la fine bouche. Pâte dure, pâte molle, au lait cru ou cuit, peu importe pourvu qu’il ait de quoi mâchonner et donner son verdict qui n’est guère chauvin. Il va se délecter d’un Saint Nectaire fermier bien fondant, d’un maroilles moelleux comme d’un vieux bout de corse sec, bon à gratter. Il va tomber en pâmoison jusqu’à tortiller de l’œil devant un Saint Marcelin…
Il trouve toujours un petit mot pour décrire le goût qui se révèle à la mâche et il mâche lentement, le bougre, prenant toujours son temps pour la déguste. Le vieux fromage, il l’adore lorsqu’il n’a pas trop perdu son gras, juste sous la croute, le morceau resté translucide qui garde encore son côté huileux. Même à minima, il commente la petite pointe savoureuse, « una sbridula di casgiu » dit-il, une miette de fromage.
Le verre de vin est bienvenu pour sublimer le goût et escorter le produit fermier jusqu’au fond du gosier. Ce moment est également salué de quelques mots qui font claquer la langue révélant le gouleyant du breuvage accompagnateur. Aucun de ces petits moments de plaisir ne le laisse sans réaction. Il suffit de le regarder prendre son temps pour que chaque instant s’éternise.
C’est toujours à regret qu’il quitte la table et me recommande vivement de l’inviter à nouveau, le plus rapidement possible, me mettant en garde de ne pas dépasser la fin du mois. C’est vous dire à quel point son plaisir de passer à la Zinella est grand.

Alors ! Cette banane !
Attendez, elle va venir.

Le moment le plus surprenant est celui du dessert. Jamais au grand jamais, il ne croquera dans une pomme ou une poire. C’est une vieille habitude, toute une histoire qui remonte à son enfance. Ses parents qui vivaient de métayage essentiellement, organisaient la vie de famille autour du jardin et d’un petit élevage porcin et caprin. Ils vendaient leur production, la partie qui leur revenait, gardaient graines et semences pour l’année suivante. Les récoltes fruitières étaient également réservées à la vente directe. Poires et pommes saines partaient dans les foyers du village, les fruits talés, touchés par le carpocapse ou la tavelure, tombaient sous les mâchoires porcines. Louis n’a jamais goûté un de ces fruits réservés au revenu familial. C’était primordial pour assurer le pécule supplémentaire afin que chacun puisse se vêtir et que les enfants soient présentables sur le chemin de l’école. Je le revois, enfant, avec son frère jumeau gravir la montée di a Cuncuruta sur la route du groupe scolaire, les cheveux mouillés, peignés de frais, un large sourire aux lèvres, heureux de retrouver ses camarades et d’emmagasiner quelques connaissances pour son futur.

Je n’ai jamais réussi à lui faire croquer une pomme. J’ai toujours détourné la chose en tarte ou en compote. Là, ça passe, comme si l’empreinte de l’enfance s’effaçait à la cuisson.

Son fruit préféré est la banane. Ce fruit venu d’ailleurs, connu sur le tard, n’a pas contrarié son enfance. Il n’y a jamais eu de bananiers au Piratu* pour le culpabiliser ou déranger son existence.

Alors, il adore… Et lorsqu’il en tranche une pour rigoler, il s’amuse du blues banana d’un vaste éclat de rire…

Piratu=C’est là qu’il vivait, un endroit à la sortie de village direction Carbini, naguère composé de potagers et de vergers.

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