Voilà une petite fille déjà vieille, chargée du passé de ses parents eux-mêmes écrasés par le poids de leur héritage culturel. Que de la bonne intention dans leur famille : du travail, du travail et bosser coûte que coûte. Il n’y a que ça qui paye, le billet en filigrane dans leur innocence sincère. Si tu veux réussir il faut travailler, ils avaient oublié la conscience, celle qui permet le recul de gagner dans sa tête avant de remplir la poche. Héléna se voyait déjà. Elle adhérait au « projet » de ses parents et n’existait qu’à travers leur désir : elle avait oublié de se faire plaisir, qu’elle n’était qu’une enfant. A l’écoute de toutes les bonnes volontés, elle était prête à téter jusqu’à se gaver même sans profiter. Elève sérieuse, pourtant, disait sa maîtresse. Elle devrait y arriver. Tout était dit, creuser sans objet, sans conscience, n’est que ruine de l’avance…
Voici Héléna (9 ans) La dévote
Pour rien au monde elle n’aurait manqué la messe matinale et serait bien venue pour none, vêpres et complies si cela n’avait tenu qu’à elle. C’était une fidèle exemplaire. Elle frappait à l’heure exacte, pénétrait dans la salle avec un bonjour souriant et discret, juste ce qu’il faut de respect pour entrer dans la maison du Bon Dieu que j’étais. Elle s’asseyait sur son prie-Dieu, son éternel fichu sur les épaules, le regard béat, Hélène attendait silencieusement le début du prêche. Si j’avais eu de l’hostie gravée aux sons et aux syllabes, je suis sûr qu’elle s’en serait gavée, et qu’avec le corps du Christ ainsi offert, la lecture n’aurait eu aucun secret pour elle. Elle récitait parfaitement son « je vous salue » et son « notre père » mais ce qu’elle psalmodiait n’avait aucune résonance dans sa tête. Elle lisait bien son missel et entendait parfaitement l’Evangile mais ne comprenait rien car ‘Son Père » qui devait être aux cieux était bel et bien sur terre.
Dommage pour elle !
Mardi prochain : Le fennec