J’occupe un poste stratégique de choix pour photographier les oiseaux, surtout l’hiver et un peu au printemps. Ma place est juste devant la fenêtre, de là, je peux observer les différents oiseaux qui viennent gratter dans la cour. Un vaste panel de volatiles passe par ici, fauvette à tête noire, mésange charbonnière et mésange bleue, pinson des arbres, gobemouche, bergeronnette à longue queue, pic épeiche, chardonneret, bruant zizi, geai, huppe fasciée, grive musicienne, la liste est longue et non exhaustive.
Toutes mes images sont chopées de l’intérieur de la maison à travers les vitres que je ne prends même pas le temps de nettoyer car les oiseaux arrivent sans prévenir. Parfois, je dois me contorsionner, biaiser l’objectif pour cueillir une image surprenante avec toutes les aberrations produites par la réfraction de la lumière ou la distorsion due à la vitre de traviole…
Le plus assidu des passereaux est le merle. Lui, y vient en toute saison et construit son nid à deux pas de l’entrée principale. On dirait qu’il cherche à se faire photographier, il se prend pour la vedette du coin. Cependant n’allez pas croire qu’il est téméraire, dès que je sors, il plonge vers le fond du jardin avec un sifflement rageur. Il est plutôt facétieux à condition que je le regarde à travers les rideaux. Alors là, il fait ce qu’il veut et parfois tente des figures inédites à peine croyables.
Je suis sûr que vous pensez que je pousse un peu loin la plaisanterie. Non, non, ce que je vais vous raconter s’est réellement produit sous mes yeux et figurez-vous que j’ai pu en tirer exactement cinquante deux clichés. C’est pas mal non ? On se serait cru à l’entrainement dans une piscine avant une compétition de natation. Un échauffement aux jeux olympiques des merles.
C’était un jour de mars, une forte giboulée venait de traverser Aratasca. Un merle noir de jais, au bec jaune vif, un mâle donc, se posa juste à deux mètres devant ma fenêtre. Je m’intéresse toujours dès que je détecte un mouvement d’ailes pour vérifier si j’ai déjà ce spécimen dans ma galerie. Les merles sont légion, ma collection est importante, je les boude. Notre ami paraissait fort mécontent, mon indifférence l’agaçait. Il me regardait fixement, hochait la tête de temps en temps, le bec bavard, semblait m’interpeller. J’ai tendu l’oreille pour bien écouter. J’ai l’habitude de ses remontrances, je comprends le langage « merlesque » et reste attentif s’il se montre insistant.
- Tu as un peu de temps ? Me siffla-t-il. Tu veux rigoler quelques minutes ? Va chercher ton Kodak et viens me regarder de l’autre côté de la maison par la porte fenêtre ! Puis il s’envola pour se poser dans une flaque d’eau, la seule qui s’était formée dans la cour. Une sorte de vasque, pile poil à quatre ou cinq mètres de mon regard.
En quelques minutes, j’ai assisté à un spectacle étonnant, totalement inédit. On aurait facilement imaginé qu’il passait en revue toutes les figures de la natation, faisant même du canoé kayak. Il me fixait pour vérifier que je suivais bien ses facéties, marquait des temps d’arrêt, plongeait, ramait et me refixait pour revérifier si je n’en perdais miette.
Ce fut un moment de grâce pour moi. Jamais plus, je ne pourrai tomber sur un tel spectacle et surtout en tirer tant de clichés.
Je n’ai aucun pouvoir d’attraction mais je sais regarder et cueillir les plus beaux instants de vie qui se jouent sous mes yeux. Je crois que le merle se fichait totalement de mon attention, il sentait l’approche du printemps et prenait son bain en attendant de rencontrer merlette qui s’affairait déjà, transportant quelques brindilles vers le forsythia. Peut-être cherchait-il à la séduire en faisant l’artiste, allez savoir ! C’est à cet endroit qu’ils fondent foyer presque tous les ans. En tous cas, ils ne s’éloignent guère de la maison.
Je crois que le facétieux du jour avait pour bisaïeul Merlandot qui sifflait sans arrêt et avait la bougeotte. Je l’ai reconnu à son regard vif et à ses frénésies aquatiques. Ah ! c’est vrai, vous ne l’avez pas connu Merlandot ! Vous pouvez faire confiance aux extravagances simonesques, à mes regards à travers les choses d’ici bas.
Désormais, ce sont tous des amis.
J’aime ces moments divins lorsque la vie s’amuse…
Etonnant non ?