Une poule névrosée.
Parfois, on se demande qui est le plus cinglé dans l’histoire, je ne me sens pas du tout visé.
C’était un matin de juin, très tôt, je remontais du jardin.
Les poules picoraient déjà et la blanche, qui se prend pour un coq, tarabustait ses voisines. On aurait dit qu’elle avait perdu la tête. Elle se dégourdissait ainsi, en enquiquinant son monde.
Cela faisait presque deux mois et demi qu’elle couvait et qu’elle empêchait les autres de pondre. Elle occupait toute la place du nid et ne bronchait pas.
Je me croyais comportementaliste de basse-cour et je me rendis compte que mon action pour la ramener à la raison restait vaine. Peut-être suis-je un piètre psychothérapeute malgré quelques études de psycho. Même pour de simples gélines ça ne marche pas.
C’est sans doute plus délicat de remettre en place de si petites cervelles. Ça doit être ça.
Vous ne pouvez imaginer comme la Sussex, la blanche donc, est extravagante. Lorsqu’elle sort pour se nourrir, elle pique à tout va et chasse toutes les copines qui semblent avoir trouvé un meilleur aliment qu’elle.
On croit que le calme est revenu, pensez donc ! La voilà qui se met crier très fort comme si on l’égorgeait et à courir dans tous les sens, les ailes déployées. Elle fait l’avion.
Où a-t-elle vu des avions sur un tarmac avant le décollage ? Où ? Nulle part ! Alors qu’est-ce qu’il lui prend de s’affoler ainsi ? Je crois que je vais changer de métier, je n’y comprends rien.
Couver pour des prunes sur une si longue période, alors que la couvaison dure vingt et un jours, en moyenne, c’est de la folie. Elle se prend pour la mère de tous les poussins. Je crois qu’elle plane au-dessus d’un nid de coucou, elle est bonne pour la psychiatrie des volatiles, en pleine hystérie. Je me demande comment les autres font pour la supporter toute la journée.
Heureusement, une grande partie du jour, elle couve la paille, on n’a jamais vu ça.
Pendant ce temps les autres gélines sont en vacances et peuvent pédaler dans la poussière sans être dérangées.
Bref, en remontant du jardin donc, j’étais tombé nez à nez avec un lepture porte-cœur. Il semblait complètement anesthésié par la chaleur accablante qui sévissait déjà dans nos contrées.
– Alors, cette canicule ? Pas trop abambané ? (Abambanatu=estourbi, assommé, c’est du corse francisé)
– J’ai du mal à respirer, je suffoque. Lâcha-t-il d’une petite voix à peine audible.
– Je vais te pousser un peu plus loin pour te mettre à l’abri, là tu risques de te faire écraser par le soleil. Je reviendrai plus tard avec mon Kodak. Tu veux ?
– Un Kodak ? Pour quoi faire ?
– Ben, pour te prendre en photo !
– Tu sais, je n’ai pas l’heur de jouer au modèle, j’ai besoin de reprendre mes esprits. T’as pas vu une fleur plus fraîche dans les parages ? Là c’est trop sec !
– Oui, viens ! Je vais te poser sur une pensée, elle est encore toute pimpante mais ne te crois pas obligé de réfléchir, une pensée, ça ne pense pas, je crois.
– Ouf ! C’est joli ! Laisse-moi ici, s’il reste un peu de pollen je vais en profiter pour me requinquer.
– Repose-toi, je reviens…
Vous savez comment ça se passe, une chose, puis une autre et on oublie.
Lorsque je suis retourné voir mon lepture, pourtant très tard, il était encore là.
– Bou-hou ! Qu’est-ce que j’ai dormi ! Y a longtemps que tu es revenu ?
– Non, je viens juste d’arriver. Ça va mieux ? Tu es prêt pour la photo ?
Il n’a pas bronché puis il m’a raconté sa vie.
J’ai appris que la larve du porte-cœur est exclusivement xylophage, elle se nourrit de bois, l’adulte raffole de nectar et visite les fleurs.
Voilà une petite histoire comme on n’en lit jamais. Certains vont penser que c’est moi qui ai besoin de psychiatrie parce que je suis un être trop simple… mais pas simple d’esprit.
J’aime la vie et la moindre petite chose qui passe inaperçue pour le commun des mortels m’enchante énormément. Cela s’appelle être totalement branché sur le vivant, nous avons tous notre petite part d’utilité dans la nature pourquoi la passer sous silence. La mienne est de vous raconter des histoires abracadabrantesques.
Ouvrez les yeux, le bonheur est juste à vos pieds.
Bonne journée 😉
Et comme il est reconnaissant et qu’il apprécie votre délicate hospitalité, il viendra manger les pieds de votre table ou de votre lit 😉
Jolie page, après cela on se souviendra toujours du porte-coeur 🙂
🙂