La chaise ou L’italien.

Il cherchait son soleil.
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Mon esprit qui s’épanche sur ces pages des choses de la vie a horreur du vide. Il commençait à crier famine. Les idées viennent alors à ma rescousse comme par pitié.

C’est une vieille histoire d’actualité permanente, pourrait-on dire.

Je fréquentais le PMU le dimanche matin et les hippodromes l’après-midi. Un maçon italien m’avait pris pour un turfiste chevronné et tentait souvent des approches. C’était un homme très réservé presque sur la défensive, méfiant au point de ne nouer discussion avec personne. Il allait et venait entre les tables puis s’asseyait pour prendre un petit noir lorsqu’il lui semblait avoir récolté suffisamment d’informations pour faire son jeu. Ses promenades  en boucle autour des clients du bar lui servaient de prospection. Certains turfistes parlaient très fort, il retenait quelques numéros de chevaux attrapés à la volée. Il construisait son jeu ainsi et s’éparpillait en remplissant des tickets contradictoires jusqu’à jouer contre lui, c’est-à-dire qu’il pouvait gagner sur l’un d’eux en étant certain de perdre sur tous les autres. D’ordinaire, le vrai turfiste s’appuie sur une base commune de sorte que cette dernière lui permette d’être plusieurs fois gagnant le cas échéant. Il avait l’impression de quadriller la course en se dispersant dans des jeux unitaires, se basant sur sa seule vue de l’esprit.

Ce genre de comportement se retrouve souvent chez les petits joueurs aux moyens limités, qui ne tentent que de maigres piécettes. Ils développent une pseudo stratégie qui les rassure et les renvoie souvent à la déception après la course. Parfois, comme tout parieur, ils bénéficient du coup d’bol « gagne petit » lorsque l’arrivée ne comporte que des favoris.

Antonio, m’avait jaugé depuis longtemps et, tel un craintif rassuré, il s’était donné du courage pour m’approcher plus souvent. Avec le temps, il me demandait facilement mon avis sur ses choix et tentait de savoir comment je jouais. Il me proposait de faire quelques tickets ensemble. En se comportant ainsi, il avait le sentiment qu’il gagnerait plus facilement, alors que je n’en savais pas plus que lui, sauf à regrouper mes jeux plus rationnellement pour éviter la dispersion toujours peu rentable.

Il avait fondé famille en France depuis des décennies et rêvait de  retourner dans sa Calabre natale pour des périodes plus longues puis revenir de temps en temps auprès de ses enfants et petits enfants qui n’avaient connu d’autre pays que la France. Je ressentais fortement sa nostalgie silencieuse chaque fois que je repartais en vacances dans mon village en Corse du Sud. Cela le laissait rêveur. Je voyais dans ses yeux, les paysages de son enfance, ses aïeux, son quartier natal, les bancs de pierre à l’ombre d’un tilleul, alors qu’il ne m’en avait jamais parlé. Je sentais l’air chaud de l’après-midi, j’entendais les martinets qui sillonnaient son ciel dessinant des farandoles fofolles remplies de cris stridents. Je comprenais l’appel de ses origines. La retraite avait sonné lui laissant plus de temps pour songer à son passé. Je le trouvais triste lorsqu’il faisait les cent pas sur un trottoir, le nez bas, piqué vers le sol. Je savais qu’il se promenait très loin d’ici dans sa tête. Un gros quinté dans l’ordre l’aurait propulsé dans un avion presque illico. Inlassablement, il remettait l’ouvrage sur le guichet du PMU et chaque fin de dimanche après-midi, son rêve s’achevait. Une nouvelle évasion se préparait pour la fin de la semaine suivante.

Il avait remarqué que certains  joueurs gagnaient plus souvent que d’autres. C’étaient des joueurs fortunés qui ne comptaient pas la mise, nettement plus conséquente. Cela lui trottait dans la tête depuis quelques jours. Il m’arrêta au milieu du bar, m’empoigna par le bras puis dans un coin retiré me dit :

– Combien ça coûte une chaise ?
– Une chaise ?
– Oui, je les entends, là-bas, tu vois, ils jouent des chaises !

J’ai compris à ce moment précis qu’il parlait de HS (Il entendait « la chaise »). C’est un jeu qui consiste à choisir une ou deux bases et associer tous les autres chevaux (HS acronyme  en anglais qui signifie sélection totale de tous les chevaux en dehors d’une base fixe). Plus le nombre de partants est grand et plus c’est cher. Il avait l’impression qu’avec le jeu de la chaise, les parieurs fortunés jouaient dans un fauteuil, alors pourquoi pas lui. Hélas, cela ne correspondait pas à son maigre portemonnaie.

Il a poursuivi sa vie en jouant sur un tabouret, j’ignore s’il a gagné un jour la somme qui convenait à son voyage secret. Tenter la chaise une fois seulement, n’est pas suffisant, il faut être confortablement assis sur un matelas de billets pour reconduire la formule indéfiniment. Statistiquement, on gagne plus fréquemment mais la certitude de toucher un gros pactole n’est jamais acquise.

Malheureusement pour lui, il était HS (en français), Hors Service tout simplement. Sa chance, si elle existe, est entre les mains de l’innocent aux mains pleines. Hélas ce dernier habite dans une expression populaire, la rencontre avec  cet inconnu est très aléatoire et sans aucune garantie.

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