J’étais un peu à la traîne, loin derrière les autres, nonchalant comme un grand-père quoi ! Anna Livia, ma petite fille est revenue sur ses pas à ma rencontre. Elle m’a donné la main puis m’a demandé :
– Missiau, tu es superstitieux ?
– Supersitieux ?
– Oui, tu crois que ça porte malheur de passer sous une échelle ?
– Non, je n’y crois pas. Au contraire, si je vois une échelle, je passe dessous exprès… Je le fais depuis longtemps, il ne m’est rien arrivé et s’il m’arrive quelque chose cela ne viendra pas de l’échelle.
– Moi aussi, je n’y crois pas. Et le hasard, tu y crois ?
– Ah ! Le hasard c’est une grande question. Certains y croient d’autres pas. On peut répondre oui et non. On peut penser que les choses arrivent comme ça, on dit « par hasard ». On peut penser aussi, si on avait la possibilité de tout calculer, que cela arrive parce toute une série de petits évènements se rencontrent et là, on peut dire que ce n’est pas du hasard. On l’appelle « la nécessité ».
– Oui, mais comment on fait pour tout savoir ?
– Justement, on n’y pense pas et on n’a pas les moyens de tout calculer, c’est trop compliqué, alors on se contente de dire que c’est du hasard. Et parfois, on croit que c’est tourné contre nous alors que les mauvaises choses comme les bonnes n’arrivent pas pour nous punir ou nous faire plaisir. On dit que « la chose qui arrive » n’a pas d’intention, elle ne le fait pas exprès pour nous et nous croyons que c’est fait pour nous.
– Tu m’en reparleras ?
– Oui, c’est difficile à comprendre pour une enfant de ton âge mais comme tu m’as posé la question, je préfère te parler comme je le ferais avec un adulte, à peu près. Cette question, tu la retrouveras toute ta vie et tu changeras d’avis avant de te faire une idée à toi, bien précise. Mais je pense savoir vers quelle idée tu te rangeras.
– Laquelle ?
– Celle de la nécessité, cela arrive pour des raisons très précises qui nous échappent tant c’est difficile à analyser, alors on dit « hasard ». Tu en as pour un bon moment à réfléchir.
Puis, elle s’est mise à sauter à cloche-pied en repartant sur des préoccupations de son âge… L’aire de jeu n’était plus bien loin.
Le dialogue s’est arrêté là au bout de quelques minutes. Anna Livia, n’est qu’une enfant de sept ans et demi mais s’intéresse à beaucoup de choses. Elle est toujours en alerte, elle capte et interroge. Je préfère répondre comme je pense les choses en cherchant à me mettre à sa portée, sans calcul, spontanément. Ce qu’elle comprend ou pas n’a pas d’importance, ce n’est pas une leçon mais une conversation. Les idées mûrissent progressivement au gré de ses interrogations, le temps fera le reste.
On peut se demander s’il est raisonnable d’aller aussi loin dans l’explication. La spontanéité est toujours préférable à l’évitement, à l’effet cucul la praline en minaudant ou en se contorsionnant pour trouver l’angle abordable, mais plus approximatif de ses idées. Evidemment, à aucun moment, il n’a été question de certitudes de ma part mais d’avis, d’opinion pour qu’elle s’appuie sur des interrogations, le doute et la réflexion, en évitant toute certitude définitive.
En somme, à partir de son questionnement, sans effet ex cathedra, en restant soi-même, simplement, je crois que c’est la meilleure manière de façonner un état d’esprit. Libre à elle de se construire une logique. A aucun moment, je ne lui ai demandé si elle avait compris.
Il y avait à entendre, à prendre ou laisser… comprendre est une autre affaire.
J’aime bien cette démarche, tant avec les enfants qu’avec des adultes.
Parfois d’ailleurs il nous faut aussi décider à l’estime, au jugé, à l’instinct, comme on voudra, trop d’éléments interdisant un choix raisonné.
Reste à savoir cependant si nous pouvons alors imposer à quiconque nos choix.
Oui, semons toujours idées et propositions, ils choisiront à leur tour entre les élément de hasard et de nécessité.
A te relire