A mimoria di a castagna. (La mémoire de la châtaigne)

Il suffit de si peu de choses. Il n’en faut pas beaucoup pour plonger dans les plaisirs du passé surtout lorsqu’on est coutumier du fait. La moindre petite étincelle est capable d’éclairer un coin sombre très éloigné dans le temps pour le mettre en pleine lumière comme si c’était encore un moment actuel, d’aujourd’hui.

Le « pas grand grand-chose » ce fut « un presque rien ». La flemme de se creuser la cervelle pour un repas méridien. C’est rarissime, je ne savais pas quoi faire à midi. Je me suis souvenu qu’un sachet de farine de châtaigne dormait dans un coin de la cuisine et l’envie me prit de confectionner des « friteddi castagnini » (beignet de farine de châtaigne). Enfants, nous les appelions « l’arrichji », les oreilles. Point besoin d’une imagination débordante pour y voir des pavillons qui bordent le conduit auditif, de toutes les tailles et presque vrais comme nature.

La recette est simplissime : de la farine, une once de sel et de l’eau. Rien d’autre pour les oreilles que vous voyez à l’image. Il y a plusieurs versions, bien entendu. Le plus long fut, pour moi, le tamisage. C’est une étape essentielle pour ne pas avoir de grumeaux dans la pâte. Le petit tamis en demi-sphère, très serré, n’est pas des plus sassant, il faut l’aider avec le dos de la cuillère, inlassablement. Le délayage dans de l’eau froide n’est qu’une opération simplissime qui s’arrête lorsque la pâte rappelle la consistance de celle des crêpes, légèrement plus épaisse. La friture intervient sans attendre en versant à la cuillère à soupe des amas dans l’huile très chaude. Un amas s’affaisse tout seul se répartissant en épaisseur équitable. Puis on éponge le surplus huileux sur du papier absorbant. Je vous assure, encore une fois, c’est plus long à écrire, à expliquer qu’à faire. C’est bigrement rien du tout à retenir.

J’avais pris soin, dans ma rudimentaire recette du jour, d’ajouter les zestes très fins de deux citrons non traités. A la dégustation, je me disais que j’aurais dû pousser jusqu’à trois car ils étaient petits. Le léger goût citronné ressort très bien et me parut fort agréable.

C’est à table, juste à côté de la fenêtre, jetant un œil tantôt vers la cheminée, tantôt vers le brouillard et la pluie fine, incessante aujourd’hui, que je me mis à rêver. A me replonger dans l’enfance.

A cette époque, la châtaigne tenait une place importante dans notre mode de vie, au moment de la récolte puis plus tard dans l’hiver, sous forme de farine. Nous en consommions sous toutes ses formes. Grillées, bouillies dans une infusion de fenouil avec ou sans leur peau coriace. I butaccioli, garnissaient nos petits sacs en toile que grand-mère confectionnait pour emballer notre quatre-heures, à la récré de l’après-midi. Chacun sa couleur, sa décoration et son cordon torsadé pour resserrer l’ouverture à la façon d’une bourse en tirant dessus. Les cochons avaient la plus grosse part qui séjournait au grenier en tas conservés bien à l’abri. Les porcins adorent les châtaignes et profitent de cette friandise pour prendre bon poids et bonne graisse bien blanche. Durant cette période, des pêcheurs, plus ou moins braconniers puisque l’activité était fermée pendant l’hiver, triait le tas de fruits pour récolter le maximum de vers bien vifs et bien dodus. La pêche, en sommeil à cette période, s’avérait abondante car la truite est friande de ce genre de proposition nourrissante. C’était une activité non négligeable également liée à la châtaigne. Lorsqu’un pêcheur satisfait de sa journée clandestine venait nous remercier de quelques truites, c’était cocagne à la maison. La braise toujours prête en cette saison, minnana embrochait les salmonidés dont le ventre vidé au préalable était farci de lard, puis ne cessait de tourner u broccu (la broche) afin que le gras fondu à la chaleur se répartisse sur la peau du poisson pour le rendre moins sec et plus goûteux. Porc et truite directement liés à la châtaigne, l’un par le fruit et l’autre par l’asticot, se retrouvaient devant un feu de cheminée. Grand-père, amateur de pêche à la main lorsqu’il était encore vigoureux, se régalait avec les têtes. Toutes tombaient dans son assiette, il était le seul à les croquer. A son sujet voici une anecdote. Un jour, il entreprit d’initier un jeune du quartier à sa pratique manuelle. Il fouillait sous les pierres puis d’un coup de canine bien placé à la base de la tête, il achevait sa prise, la passait au jeune homme qui se tenait derrière lui pour la plonger dans la musette. Ne trouvant pas grand-chose à se mettre sous la main, l’apprenti s’écria : « J’en ai une, j’en ai une ! ». Grand-père qui était myope tendit la main, porta la truite sous son œil valide puis lui dit : « Celle-là, c’est moi qui l’ai poinçonnée ! ». Le jeune homme avait manqué son coup…

Avec la farine, la polenta et le ficateddu faisaient copains comme cochons, aussi. Avec l’un, il y avait l’autre presque immanquablement. Parfois, la chèvre et la poule étaient au rendez-vous, avec le bruccio et l’œuf au plat. Nous enfants, nous avions chacun notre boîte de cirage bien nettoyée à plusieurs reprises que nous garnissions de farine, et rien d’autre, avant de la poser sur de la braise recouverte de cendre afin d’atténuer l’intensité de la chaleur. Dès que les bords brunissaient, à pisticina (sorte de galette durcie par la déshydratation) était à point. Nous apprécions, le croquant comparable à celui d’un biscuit et le goût typique de la châtaigne naturellement sucrée. I granaghjoli, une bouillie légèrement liquide, coulée dans une assiette creuse puis refroidie avec du lait frais versé par-dessus. Nous commencions par les bords qui se tempéraient plus vite et nous finissions par la partie centrale, plus épaisse, que nous mélangions avec le reste de lait.

Voilà le voyage que je fis ce midi en dégustant i me friteddi castagnini. Ce fut l’occasion de revoir mes aïeux, de leur sourire, de leur faire un clin d’œil. S’ils sont partis ailleurs, il y a fort longtemps, les châtaignes, les figues, le raisin, le boudin… sont autant d’occasions de leur rendre visite. Finalement, ils ne sont pas bien loin, chaque saison sait où les trouver.

Abondance.
(Cliquez sur les photos)

 

 

 

 

 

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