S’agit-il d’une hésitation passagère ou d’un contraste très fort affiché par une nature qui subit les assauts d’un climat devenu fou ?
Je ne saurais le dire.
J’ai pris l’habitude de laisser le potager et les fruitiers se débrouiller tout seuls. Juste un apport d’eau pour étancher la soif, un paillage pour limiter l’évaporation et c’est tout. La saison estivale fut rude. Le soleil n’a cessé de bombarder de rayons brûlants, surchauffés, plus que d’ordinaire.
Le figuier était chargé. Il a beaucoup souffert et a perdu la moitié de ses feuilles très tôt pour soulager ses veines asséchées, en manque de sève. Les figues ont bien du mérite, elles s’accrochent pour tenter de sauver une saison qui s’annonçait d’abondance. Certaines, attaquées par les mésanges bleues et les mésanges charbonnières en quête de nourriture fraîche, ont le flanc largement ouvert. En les voyant béer ainsi, on dirait qu’elles ont la bouche ouverte cherchant une respiration dans l’air étouffant et semblant attendre quelques gouttes de pluie pour s’abreuver enfin. Pourtant, elles sont délicieuses et celles déjà flétries, un peu sèches, offrent un fort pouvoir édulcorant. Les tartes n’ont point besoin d’ajout sucré, la chaleur a concentré le maximum de fructose dans les entrailles de la marisque.
D’ailleurs, le jason en bon maître de chais, amateur de fruits fermentés et de vin imbibé dans les serviettes en papier lors de repas sous les tonnelles, siphonne la liqueur d’une figue bien mûre. Il est tout à son saoul, rien ne le perturbe. Le vent s’est levé et le berce doucement, tantôt le bouscule, rien n’y fait. Bien décidé à faire le plein d’énergie, il ne bronche pas. La branche est trop haute, dommage que je sois si loin pour voler ses postures de suceur de perles douces. Les mésanges sont expertes et ne s’attaquent qu’aux fruits ventrus presque prêts à craquer, le papillon n’a plus qu’à se fier aux effluves entêtants au goût de miel.
Le noyer est silencieux. On passe sans le remarquer tant il est peu causant. A son sommet, les branches complètement dégarnies annoncent des nécroses sans doute dues à des larves ravageuses qui criblent le bois de petits trous en creusant leurs galeries. D’année en année le dommage s’étend et l’arbre s’affaiblit. Noix saines et noix malades se présentent côte à côte. Mauvais présage, les couples « noir et vert » sont nombreux. L’une résiste annonçant bon calibre et l’autre meurt comme pour laisser plus de chances de survie à sa voisine. Certains y verront une version du Yin et du Yang.
Le raisin ne sait plus sur quel pied danser. Il hésite beaucoup aussi. Le noir évolue en pleine contradiction. Des grains refusent de grandir, comme si le syndrome de Peter Pan s’appliquait également à la vigne, pendant que d’autres déjà rabougris se sont ratatinés avant l’heure. Les gros globules mûrs plus accueillants, vous invitent à goûter leur degré sucré. Dans un coin, au pied d’un rocher que j’avais spécialement choisi en espérant humidité garantie sous la roche durant l’été, un triste raisin me donne tort. J’ai tout faux. C’est là qu’il a le plus souffert. Il a refusé de s’épanouir, il s’est momifié imitant le raisin sec alors qu’il n’a plus que la peau sur les pépins. En revanche, la variété italia qui a végété sept années durant, se développant très peu et ne produisant rien, s’est brusquement réveillée. Ses grappes très imposantes à gros grains, ont profité des tomates toutes proches en allant chercher un peu d’humidité jusqu’à leurs pieds. Il n’y a donc plus de mystère, c’est un truisme sans doute, chaleur sans goutte d’eau n’est que ruine de l’âme aux jardins. Surtout lorsque Phébus profite d’une grève prolongée des nuages pour affoler l’ici-bas.
Année de canicule, un nouvel avertissement à l’homme qui s’est assoupi dans la paresse croyant que la prospérité tombe du ciel alors que par ces temps dérangés, totalement déréglés, il ne tombe que calamités en tous genres.
L’heure n’est plus à l’hésitation, lorsque la nature n’en peut plus, elle affirme et n’atermoie point. Il parait qu’elle est capable de s’adapter…
En attendant, l’homme s’apprête à souffrir !
Pour me soulager, je nage en plein anthropomorphisme*.
*Personnifier les choses de la nature, leur prêter sentiments à l’image des humains.
L’imperturbable Jason. (Cliquez sur les images)