A Leia, Anna Livia, Margault, Fanchon et Francesca Maria… Un jour vous comprendrez, on écrit lorsqu’il est encore temps et c’est parti pour plus tard…
Un missiavu – avant j’écrivais missiaù, désormais je me méfie des donneurs de leçon d’orthographe nustrale – signifie grand-père ou papi en corse. Alors voilà un papi qui ne fait pas de résistance. Il voyage dans sa tête et nomadise dans sa vie de sédentaire.
J’ai cinq petites filles. Elles aiment bien les poules, récolter tomates, courgettes, poivrons, aubergines et concombres lorsqu’elles viennent en vacances. Elles adorent aller aux œufs, écouter le concert des rainettes le soir lorsque la lune leur sourit. Je m’entends bien avec « a luna », on dirait qu’elle me parle lorsqu’elle parade dans le ciel étoilé, en phase plein phare. C’est alors qu’elle rit le plus. Elle supplie le nuage qu’il vienne, en guise de foulard, masquer son sourire pour l’afficher aussitôt en appelant le vent à la rescousse. Elle raffole de ce jeu de cache-cache. Un peu folle, facétieuse, amusante, souriante et tout ce que vous voulez… Légère. Pâlotte parfois. Rieuse toujours. C’est pour cela que nous l’aimons, les soirs de douce lune entourée de myriades d’étoiles qui scintillent. On dirait que ces astres, minuscules vus de chez nous, sont jaloux et clignotent sans arrêt pour se faire remarquer. Séléné est notre préférée.
Aujourd’hui, j’ai rencontré une petite tortue en débroussaillant. C’est peut-être une fille d’Ariel, vous vous souvenez ? Les mésanges charbonnières se chamaillent, je les entends derrière la cabane bleue, près du nichoir duplex que je leur ai préparé. J’irai voir si ça bouge de ce côté-ci et je prendrai des photos si elles ont élu domicile. Elles font tant d’allées et venues, c’est facile de les photographier.
La vigne est prometteuse cette année. C’est la première fois que je laisse les longues tiges sur le grillage. Elles sont chargées de grappes. Tous les ans, je les rabattais à deux yeux pour être conventionnel. Et puis, elles s’en fichaient, s’étiraient sur cinq mètres et plus. Sans doute aiment-elles la vie comme moi, elles filent sur les appuis trouvés ou rampent dans les herbes folles. Les grappes planquées, on les remarque tardivement lorsque celles bien en vue ont été croquées, éclaboussant le palais de plaisir sucré. Ce sont les guêpes qui trahissent leur présence sous les chiendents, avant l’entrée de l’hiver.
Les cerisiers aussi promettent mais les merles font des rondes déjà et les geais en vadrouille pour le moment, ne vont pas tarder à débarquer. Je crois que le rouge les attire, que la chair ferme et juteuse de la burlat, ou plus épaisse encore de la cerise Napoléon, les enivre. Ils aiment ça, la griserie. Merles comme geais deviennent fous, on ne les contrôle plus, ils n’en font qu’à leur bec, massacrant à tort et à travers. Ils n’ont aucun sens de l’économie, ni du partage, c’est tout pour leur gosier tout de suite, maintenant… « Après » et « plus tard » n’existent pas. Ce sont des épicuriens bêtes, tout ce qu’il y a de plus primaire et de goulu. C’est vrai qu’ils n’ont sans doute pas la notion de temps. Pour eux, seul compte se gaver, « ici et maintenant », non par calcul mais par survie, par nécessité immédiate. On ne va tout de même pas leur demander de réfléchir un peu !
La pomme de terre est en avance, elle exhibe ses fleurs et pense être prête à rissoler vers la mi-mai, en robe des champs de préférence. Elle est coquette la primeur, on la fait sauter comme une ballerine dans du beurre… je la préfère à l’huile d’olive avec de la fleur de sel et une bonne froufroutée de poivre de Chine. . On va se régaler. Fèves et petits pois sont déjà au menu du jour. Un régal, j’ai goûté. C’est frais, vif et sucré et ça « craquouille » sous la dent.
On profite des produits de missiavu tant qu’il est encore là. Ça fabrique des souvenirs, ça façonne des images et ça donne un sens aux choses de la vie. Plus tard, on se souviendra, beaucoup, très peu ou vaguement si l’on est encore trop jeune petite fille aujourd’hui. Mais les écrits et quelques photos resteront pour vous pencher un instant sur celui qui parlait de la vie.
Je vous adresse un sourire, vous me le rendrez plus tard si vous voulez et si cela vous fait plaisir. Vous êtes encore insouciantes et spontanées. Sachez que la vie c’est tout simple et parfois très compliqué, vous devrez vous accommoder de cela. Et pour être heureuses, dites-vous que c’est élémentaire, ordinaire comme une tomate qui pousse dans le jardin de missiavu. De l’envie, de l’amour, un regard, de l’attention et vous la trouverez extraordinaire. Parfois elle vous enchantera des saveurs qui vous rappelleront votre enfance, vos racines, et parfois vous désolera à cause du mildiou ou de la nécrose apicale… Ce n’est pas grave, l’année suivante elle sera comme du temps de missiavu… succulente, savoureuse, juteuse à souhait et souvenez-vous que votre grand-père adorait la vie et vous aimait en silence, à sa façon…