Oui, après la mante religieuse, je suis tombé « en amour » comme disent les québécois devant une photo encore toute fraîche du printemps dernier.
En écoutant les infos, les prises de bec à l’assemblée, la faim de FMI, les primaires à gauche ou chez les verts… le tapage des présidentielles qui montera crescendo pour nous rebattre les oreilles jusqu’en 2012, je me suis dit qu’il était bon et même salutaire de jeter un regard côté jardin. Lorsque la vie vous agace, lorsque la télé vous bassine, lorsque assez qu’on assassine, allez faire un tour dans la beauté des choses. Un nuage qui passe éveille un rêve, une interrogation… le mystère.
Quoi ? Qui ? Pourquoi ? Quand ? Comment ? Un instant de solitude, un instant de plénitude, un instant d’incertitude, un instant d’éternité qui ne livre aucune vérité. Un moment de vie pour les sens, pour tout ce qui parle au corps et repose enfin l’esprit. Qui a compris ?
Voyez ce mouron rouge et ce mouron bleu, voyez comme ils percent et s’imposent… Ils m’ont claironné ce vieux poème de Jean Richepin encore d’actualité.
Beauté des choses pour qui sait la voir et misère n’ont pas pris une ride, voici du mouron pour les p’tits oiseaux et les hommes aussi. Seuls les mots camouflent mais disent aussi…
Photo Simonu (SD)
Du mouron pour les p’tits oiseaux
Grand’mère, fillette et garçon
Chantent tour à tour la chanson.
Tous trois s’en vont levant la tête :
La vieille à la jaune binette,
Les enfants aux roses museaux.
Que la voix soit rude ou jolie,
L’air est plein de mélancolie :
Du mouron pour les p’tits oiseaux !
Le mouron vert est ramassé
Dans la haie et dans le fossé.
Au bout de sa tige qui bouge
La fleur bonne est blanche et non rouge.
Il sent la verdure et les eaux ;
Il sent les champs et l’azur libre
Où l’alouette vole et vibre.
Du mouron pour les p’tits oiseaux !
C’est ce matin avant le jour
Que la vieille a fait son grand tour.
Elle a marché deux ou trois lieues
Hors du faubourg, dans les banlieues,
Jusqu’à Clamart ou jusqu’à Sceaux.
Elle est bien lasse sous sa hotte !
Et l’on ne vend qu’un sou la botte
Du mouron pour les p’tits oiseaux !
Les petits trouvant le temps long
Traînent en allant leur talon.
La soeur fait la grimace au frère
Qui, sans la voir, pour se distraire,
Trempe ses pieds dans les ruisseaux,
Tandis qu’au cinquième peut-être
On demande par la fenêtre
Du mouron pour les p’tits oiseaux !
Mais la grand’mère a vu cela.
Un sou par-ci, deux sous par-là !
C’est elle encor, la pauvre vieille,
Qui le mieux des trois tend l’oreille,
Et dont les jambes en fuseaux,
Quand à monter quelqu’un l’invite,
Savent apporter le plus vite
Du mouron pour les p’tits oiseaux !
Un sou par-là, deux sous par-ci !
La bonne femme dit merci.
C’est avec les gros sous de cuivre
Que l’on achète de quoi vivre,
Et qu’elle, la peau sur les os,
Peut donner, à l’heure où l’on dîne,
A son bambin, à sa bambine,
Du mouron pour les p’tits oiseaux !
Jean RICHEPIN (1849-1926)