Un seul fil vous manque et tout est dépeuplé.

            Je me souviens d’une personne âgée, dans mon enfance, voyant passer un avion à réaction dans le ciel s’écrier : «  Si un fil de fer lâche… » Dans son environnement aux connaissances sommaires, on était habitué au bidouillage bas de gamme, c’était le temps. Mais, sa réaction toute naïve qu’elle fût n’en était pas moins lourde de  sens rétroactif.          

           Si le fil de fer a été, aujourd’hui, remplacé par des connexions infiniment plus sophistiquées, elles n’en demeurent pas moins fragiles. Le moindre coup de vent, le moindre insecte écervelé et inconscient peuvent se trouver à l’origine du plus grand dénuement. Le fil de fer …Et l’on sourit à la prédiction de notre papi. Un sourire d’approbation.        

          Voilà comment j’ai été privé d’internet pendant trois jours. Trois jours de galère, de solitude totale à se demander comment faire face à un tel désarroi. Insupportable. Il n’y avait même pas eu de coup de vent et aucun insecte suicidaire grillé n’a été trouvé dans la boîte à connexions. Mystère, on ne saura jamais. La poisse. Peut-être une facétie de l’humidité excessive durant le mois. Allez savoir ce qu’il se passe dans la tête d’un boîtier, même hautement étanche !         

         J’avais le monde à portée de clavier dans ma vie solitaire. Je me retrouve seul sans personne… face à ce pléonasme. Le moindre forfait commis sur la planète était porté à ma connaissance dans la minute. Et ce que j’aurais dû ignorer pouvait introduire une peur médiate qui n’avait pas lieu d’exister. L’ici et le là-bas se confondaient. Ce silence non souhaité qui devait se montrer salutaire s’avère insupportable. Sans ce cordon ombilical relié au lointain pour que l’ignoré potentiel soit toujours connu, la vie n’était plus possible. Cette accoutumance fait des ravages, cette addiction rend fou pour qu’on cherche sa dose par tous les moyens.      

       Le portable est inutile, il nous faut un fixe à tout prix pour rétablir la respiration. Vite ! Et puis désillusion ! Personne au bout du fil : « tapez 2… tapez 4 … » C’est insupportable. « Vous allez être dépanné au plus tard le … » Attendez, je vais vous expliquer… » Quel imbécile, c’était un robot, un de ces robots qui ne sont pas encore humains. Fallait y penser, on ne rouspète pas face à une personne fictive. L’attente va commencer ? Demain ? Après demain ?       

      On pense qu’il n’y a pas de progrès dans l’art. Un poème de Lamartine, un tableau de Dali, une symphonie de Mozart ne seront jamais dépassés : il n’y a rien à dépasser. Du jour où elles sont nées, ces œuvres sont immortelles tant qu’un autodafé ne fera pas son œuvre à lui… et encore !      

      Le progrès peut être un tyran, une assuétude. Il nous prend, nous embarque et soudain nous laisse au bord du chemin, nus, sans défense, désemparés. La détoxication est rude et incertaine. Ce mal est vraiment mal fait. Après quelques jours, fausse lueur d’espoir, l’accoutumance  desserre son étreinte et fait place à la rage de payer pour rien. Et un robot ça n’écoute pas, ça parle tout seul…       

     Il parait que la vie c’est simple comme un coup de fil.        

    Elle tient surtout à un fil… Ah ! S’il pouvait être de fer !  

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