De l’autel à la salle de classe, il n’y avait qu’un sprint précipité pour arriver à point.
C’était toujours très serré.
Mon souci, la peur d’arriver lorsque le rang franchissait la porte de la classe.
Le maître savait que je sortais de l’église, un passage obligé puisque je vivais chez ma tante, sacristine en chef. Elle me disait : « Si tu sers bien la messe, le Bon Dieu t’aidera en classe ! »
Je n’étais pas un foudre de guerre, il me fallait de l’aide, j’en avais grand besoin mais doutais fort que le divin s’intéresse à ma petite personne. Ses pensées étaient remplies d’autres chats à fouetter.
Les meilleurs élèves, fils d’athées ou d’agnostiques réussissaient par leurs propres moyens, ils savaient résoudre problèmes et limitaient la casse orthographique à l’exercice de dictée.
J’enchaînais les séries de messes matinales de quarante jours d’affilée pour gagner, au bout de l’aventure, un crucifix en ivoire. Visiblement de bonne facture mais en plastique, il imitait parfaitement le « métal laiteux » des défenses d’éléphant. La série me semblait interminable, et la moindre absence d’un jour annulait le parcours déjà couru, le compteur était remis à zéro.
Nous n’étions pas très nombreux pour cet exercice et très peu d’enfants de cœur parvenaient à tenir la distance. Mon ami Antoine et moi, étions bien affûtés en matière religieuse, moins à l’aise dans le parcours scolaire durant cette période. Plus enclins à faire la génuflexion qu’à passer au tableau, plus habiles avec le bénitier, le claquoir ou le carillon qu’avec un bâton de craie. Plus sûrs et bien mécanisés à réciter un « Notre Père » ou un « Je vous salue Marie » qu’à marmonner une poésie. A notre décharge, les récitations changeaient souvent alors que les prières restaient immuables, apprises une bonne fois pour toutes et définitivement mémorisées.
Ah, si vous m’aviez vu en aube blanche, les mains jointes et le visage serein tourné vers le tabernacle !
Je rêvais de pouvoir un jour l’ouvrir pour porter bien haut le ciboire au-dessus de ma tête, le présenter à toute l’assemblée durant l’office.
Ma tante m’imaginait, d’abord vêtu de bure, en moine transitoire, avant de porter soutane.
Ah la la, me voir un jour chasublé et portant étole qu’est-ce qu’elle aurait adoré !
Rendez vous compte, un oremus bien récité, un calice vidé de son vin de messe, les yeux fermés, après m’être rincé les doigts d’eau bénite… Que dieu te bénisse ! Se serait écriée tante Marie.
Etre serviteur du divin, quelle allure ! Et, sans doute, le paradis assuré pour toute la famille.
Pourtant, je tremblais de voir l’office s’éterniser. Arriver en retard, puni de cent lignes « Je dois arriver tous les matins à l’heure en classe », quelle torture !
Mille fois j’aurais préféré passer par confesse, m’accuser d’un péché imaginaire et faire pénitence au pied de la vierge Marie pour lui adresser quelques « Je vous salue », la sachant pleine de grâce.
Aide toi et le ciel t’aidera ! Je pense que j’ai surmonté tout seul mon gros handicap originel.
Une infirmité scolaire qui m’a porté vers réflexion, un penser par moi-même qui me libéra de toute pensée préfabriquée pour me formater au croire plus qu’au savoir.
Si je ne sais pas grand chose aujourd’hui, le savoir est infini, je m’exerce à l’évasion en développant et ouvrant largement mon imaginaire. Ainsi je me promène dans des mondes merveilleux, des univers qui n’existent pas mais satisfont pleinement mon goût prononcé pour l’aventure idéelle…
Les idées sont volatiles, voyagent facilement et parfois éclatent en une bulle de fumée.
Pfff… quel plaisir de s’inventer le vent ! Alizées, bises, brises, sirocco et bourrasques… il y en a pour toutes les voiles et les miennes sont désormais largement déployées, offertes à Eole.
Il s’en donne à cœur joie pour mon plus grand bonheur.