Dans les règles du lard…

Notre petite bâtisse, chaumière de la Navaggia, était un endroit chaleureux.
L’hiver, à la veillée surtout, lorsque nous étions tous rassemblés autour du feu.
La chaleur de l’âtre et celle des humains se rassemblaient dans nos âmes.
Les flammes dansaient, ondoyaient de bleu, de jaune et d’orange.
Les braises clignotaient sous les souffles qui venaient du conduit, les soirs de grand vent.
La fumée refoulée dans la salle à manger, cuisine aussi, nous obligeait à détourner la tête et serrer les paupières pour préserver nos globes oculaires de cette agression piquante.
Mille fois enfumés, les flancs de la cheminée et les murs grossiers blanchis à la chaux, étaient boucanés.
La pièce à vivre prenait un sérieux coup de vieux durant les longs mois d’hiver.

Blotti dans un coin de l’âtre, assis sur un petit banc qui maintenait mon visage au niveau de la flambée, j’écoutais les histoires racontées par mes aïeux. J’étais silencieux, attentif et rêveur en m’imaginant dans leurs improbables contes.
Soudain, une panne de courant plongeait la maisonnée dans l’ombre, des fantômes projetés par la flambée, s’animaient sur le mur opposé. Un frisson me parcourait l’échine, les récits prenaient tout leur sens lorsqu’ils étaient lugubres, à peine relatés, encore tout chauds.
Dehors, Eole se mettait en furie, battait les volets, envolait les vieilles bassines restées dans la cour. Le fil électrique, mal arrimé à la paroi de la maison, fouettait les pierres de taille qui avaient connu bien d’autres flagellations.
Par moments, la pluie se mêlait au vent pour frapper plus fort encore à notre porte, elle tremblait sous les coups de boutoir :
– Ouvrez braves gens, je suis le vent et je transporte des hallebardes ! J’en frémissais.
Les vitres clinquaient, la bise sifflait sous la porte et venait nous chatouiller les joues, en profitait pour raviver les braises.
Grand-mère, déchirait un journal et le serrait dans les fissures, pressait les morceaux avec la broche à rôtis. Parfois, elle psalmodiait quelques incantations et lorsque Eole s’apaisait pour mieux reprendre son souffle, elle disait :
– Ha vistu s’hè calmatu ! (Tu as vu il s’est calmé)
L’autre reprenait ses assauts de plus belle semblant dire :
– Pas encore !
Grand-mère ne s’avouait jamais vaincue, repartait dans ses prières que personne ne comprenait.
Intempéries et suppliques se chamaillaient, il me semblait que batailleuse et vaillante grand-mère avait toujours le dernier mot.
Tout se calmait lorsque je me fourrais au fond du lit pour chercher, avec mes pieds, le fer à repasser sorti du feu, entouré de journaux et de vieux pulls. La chaleur, progressivement, gagnait tout mon corps.
Blotti dans la tiédeur de mon cocon, je m’endormais après avoir revisité tous mes moments frileux.
Ainsi, je me formais aux contrastes de la vie que, déjà, je conquérais de toutes mes forces.
C’est ainsi que j’apprenais à aimer. Aimer la vie et tous les miens.

Au mois de janvier, le plafond était garni de cochonnailles qui séchaient à la tiédeur de la cheminée.
Suspendus à de gros clous, sous la grande poutre nommée « u canteddu maestru », les jambons pendaient, entamaient l’affinage en attendant le retour de la diaspora familiale durant la période estivale. Le saucisson, non encore bien sec, nous l’entamions pour la dinette du lundi de Pâques.
Juste à côté du jambon, deux plaques de lard – sciarpi di lardu – suintaient au-dessus du plancher et laissaient leur signature huileuse imbibée dans le bois.
Grand-mère, s’armait d’un couteau, tranchait de larges morceaux de lard qu’elle faisait griller à bonne distance de la braise. Elle oignait une tranche de pain et, les yeux fermés, se régalait de ce gras rôti. J’entendais la couenne croustillante craquer entre les dents qui lui restaient, elle aimait accompagner sa mâche de ce bruit typique, sec et grinçant.
Avec ce goût, qu’elle adorait par dessus tout, elle en appréciait la musique, aussi.
Elle avait nourri le porc toute l’année, allant de la maison à la porcherie deux fois par jour avec deux seaux remplis de restes de repas, de son, de châtaignes ou de glands, au milieu de l’automne..
Elle contemplait son labeur accroché au plafond, un assortiment charcutier qui nourrissait toute la famille pour un bon moment.
Perdre un jambon mal préparé était une grande perte pour notre modeste condition…

Je suis certain qu’un peintre des scènes anciennes serait sorti de notre chaumière avec une toile, un tableau résumant la vie de naguère, dans les règles du lard !

Images d’un film tourné dans notre maison (trop de monde, on m’avait mis dehors). Photos de l’écran télé, la netteté n’est pas de mise. Zaïra, vedette féminine de ce reportage. (1962)
Jeannot autre fil rouge du film, ma grand-mère et ma mère.
Et grand-père au tambour 😉

Le petit plus suggéré par les hiboux.

Puisque nous sommes presque dans les règles de l’art, j’ai demandé à la lune…
C’est une boutade, vous vous en doutez, quel que soit son pesant de cacahuètes.

Les hiboux avaient tout entendu.

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