Pour une traduction en corse.
La dérive d’une tradition.
(Récit d’une évolution fin des années 60 au village)
Tous les ans en mai et juin, bien avant la fin des classes, nous passions nos samedis et nos dimanches à courir l’immortelle (a mureda).
Nous récoltions les touffes à la houe pour les mettre à l’abri dans des caves afin qu’elles soient bien sèches le soir du 24 juin pour le feu de la Saint Jean.
Le transport s’effectuait avec des charrettes de fortune, parfois à la traîne sur des brancard branlants ou dans des sacs de jute.
Nous entreposions le butin, vous comprendrez pourquoi, dans le même abri gardé secret, le plus près possible de l’endroit où nous devions rendre hommage au saint du jour en allumant le brasier.
Chaque quartier participait à la tradition qui allait, très vite, devenir une compétition, une guerre de l’immortelle dans un premier temps.
Notre feu de la Navaggia se tenait tout près des bâtisses sur la petite place à côté de la maison de Marco et face à celle de mes grands-parents.
Dans le village, c’était à celui qui réaliserait le plus grand brasier, si possible visible dans tous les quartiers pour épater les autres participants. Le nôtre était plutôt modeste et invisible de loin puisque masqué par les maisons. Tout juste une lueur s’élevait au-dessus des toits pour évoquer sa présence sous les étoiles.
Cet esprit de compétition dériva sur une rivalité qui allait dépasser le symbole. Les caves étaient repérées et vidées de leur contenu pendant la nuit, à la fois pour augmenter la réserve du quartier voisin, sans trop d’efforts, et affaiblir la masse à brûler du concurrent.
C’étaient les enfants de fin du primaire ou du collège qui constituaient les réserves, les hommes se contentaient de planter le mât qui allait servir d’appui pour former une meule. Le soir de la flambée, ces derniers veillaient à ce que tout se passe bien, dans l’euphorie générale un accident pouvait survenir à tout moment…
Avec cette course au plus impressionnant feu, les adultes sont entrés dans le jeu.
Ils coupaient des branches de chêne le jour même, les plaçaient par-dessus l’immortelle pour augmenter la masse à brûler. D’autres rassemblaient des vieux pneus de camion ou de voiture qu’ils empilaient autour du mât et camouflaient avec les branchages. Ceux-là, étaient certains d’avoir la plus visible et durable flambée.
Cette course à la compétition a fini par avoir raison de l’esprit de la Saint Jean dans le village. Les quartiers pillés rendirent les armes avant les autres, faute d’endroits secrets pour cacher le combustible.
Sur la place de l’église où se réunissait le plus grand monde, la fête battait son plein.
Autour du feu, c’était l’allégresse.
Lorsque deux adolescents attrapaient un enfant par les pieds et les mains pour le balancer au-dessus des flammes faisant mine de le livrer au bûcher, ce n’était pas sans risques. Le plus souvent, ils en profitaient pour approcher les filles sous prétexte de les signer au foyer, en chantant « San Ghjiuvan’à focu, tirami n’u focu… »
Les demoiselles feignaient d’avoir peur et leurs cris trahissaient une certaine émotion. Elles appréciaient le frisson partagé avec leurs courtisans d’un soir. Les uns et les unes attendaient ce moment béni pour fricoter un peu.
Jean Baptiste cousin de Jésus était relégué au second plan de nos préoccupations et très peu d’entre nous, lui adressaient une pensée pieuse et recueillie.
Une fête devenue païenne plus que religieuse dans sa pratique. Nous ignorions que l’on fêtait le solstice d’été en même temps que le prêcheur et baptiseur du Jourdain…
Ce n’était point l’essentiel pour nos émois naissants, vous l’avez bien compris.
A cette occasion, nous préparions une provision de tiges d’asphodèle (u tarabucciulu dans le lévianais) avec son renflement racinaire, et non les tubercules, que l’on chauffait dans les braises avant de le battre violemment sur une pierre de taille placée tout près du feu pour la circonstance.
Cela provoquait une explosion comparable à celle d’un pétard.
Ce claquement était censé améliorer le côté festif en amplifiant le remue-ménage autour des flammes.
Un remake de la Saint Laurent fête patronale à Levie, sans les confetti, les stands, les cyclistes ni le bal.
Plus la combustion durait et plus la drague était longue, juste le temps de se préparer une amourette pour l’été débutant avant que les vacanciers venus du continent ne nous dament le pion avec leurs fringues à la mode et leurs parfums entêtants.
Le feu du solstice d’été n’était qu’un moment ordinaire de la vie et le saint du jour n’était pas d’un grand secours pour tous les amoureux du soir :
« Aide-toi, Saint Jean Baptiste t’en donne l’opportunité…mais il ne peut faire plus pour toi ».
Une occasion rêvée, il ne fallait pas la rater.
La guerre de l’immortelle n’a pas duré cent ans, quelques années seulement, finissant par décourager définitivement les petits quartiers abonnés à la sincérité de la tradition.
Magnifique récit et petit plus pour les superbes photos d’asphodèle !
🙂
Bonsoir Al !
Encore un très joli souvenir de notre enfance. Merci Simon
Encore un très joli souvenir de notre enfance.
Merci Simon
Bonne journée Michel 🙂
Merci d’être passé tout près di a Piazzona !