U mascarpone.

Tel un gourmet de l’écrit, j’ai pris grand plaisir à jouer avec les expressions et les mots, tel un gourmand, je ne me suis pas soucié de savoir si j’écrivais dans les règles de l’art et si je respectais la concordance des temps. S’il faut manger pour vivre et non vivre pour manger, j’écris pour m’amuser et non m’amuser à écrire…

« Le cours de la vie » est un thème épatant.
Dans ce vaste domaine, on peut naviguer à sa guise, en toute latitude et même longitude. La moindre petite anecdote peut devenir un fromage, crémeux à souhait et c’est le cas aujourd’hui.
Figurez-vous que c’est mon ami Louis qui m’a suggéré de vous raconter ce petit passage qui nous a fait bien rire le jour de « l’affaire », mais après coup seulement.

C’était en été. Une connaissance de fortune, à la faveur d’une visite avec sa compagne du moment, aurait volontiers prolongé son séjour chez moi.
Un homme petit, plutôt freluquet qu’il valait mieux arrimer à un arbre avec un lien bien ferme en cas de grand vent afin qu’il ne s’envolât, mais d’un appétit solide à condition que le repas fut à sa convenance.
Il avait des goûts bien tranchés, rebuté par certains ingrédients que sa petite amie se fit un plaisir à énumérer pour ne point troubler sa gourmandise et que je cuisinasse à bon escient.
Par exemple, elle me prévenait de ce qu’il détestait, me précisant surtout son aversion pour l’ail. Instantanément j’ai pensé aux vampires. Puisqu’il voulait me vampiriser en cherchant à s’éterniser chez moi, la solution aillée était toute indiquée. Il était temps de tenter quelque chose pour l’éloigner définitivement.
Le cigalon, on aurait pu dire le cigalou tant il était mignon tout plein, aimait bien se la couler douce.
Il se plaisait chez moi, commençait à prendre place et posture de pacha, insinuait de prolonger son séjour, ainsi que son oisiveté, par ici. C’est tout juste s’il ne me faisait des guiliguilis pour que j’adresse force risettes au petit poupon qu’il était.
Il adorait se prélasser au soleil brûlant du mois d’août, déjà noir de bronzage qui trahissait son penchant pour la « prélasse ». Il me flagornait à tout va, disant que l’endroit était de rêve et que j’étais bon gars. J’eusse été bronzé comme lui, il m’aurait déclaré originaire du Gabon puisque c’est dans ce pays que le gars bon nait ! Le bougre !
J’en suis presque certain tant il aimait flatter pour s’attirer sympathie. Il était mal tombé, je n’empathise pas sous les mamours intéressés.
Vous imaginez que je bouillais sans trop déborder pour ne pas déstabiliser sa copine, une cousine, j’avais ma petite idée.
Feu Jean de la Fontaine, u povaru Zi Ghjuvanni di a Funtana dirait-on par ici, me caressa l’esprit, m’invita à trouver une chute à la hauteur, somme toute assez basse, du personnage. Le brave Jean m’incitait, me titillait, m’exhortait :
– Ne te laisse pas faire, donne une bonne leçon au parasite ! 
Encore eut-il fallu que je me fisse fabuliste d’un jour. L’idée me plut.

Ail rose, sauvage.

Le séjour fut bref mais suffisant pour atteindre l’over dose.
Monsieur, d’une extravagance peu commune, avait trop chaud l’après-midi et, tuyau en bataille, arrosait copieusement les environs pour avoir un peu de fraîcheur.
Le soir, il lavait sa moto à grande eau. On aurait dit un cornac en train de lessiver son éléphant comme si l’engin était aussi volumineux que le pachyderme. Il n’avait aucun sens de l’économie, ne montrait aucune mesure dans ce qu’il faisait avec l’avoir des autres. De la désinvolture totalement débridée dans un corps presque minuscule mais très remuant. Un asticot qui gigotait toute la journée, avant et après une très bonne sieste seulement.
Le plus surprenant, affaire abracadabrantesque, au moment de se coucher, il allait faire la bise à sa moto et lui envoyait des bisous par voie aérienne, posté à la fenêtre de la chambre située au premier étage, avant de se fourrer dans les draps.
Une affaire d’un autre monde qui m’agaçait plus qu’elle ne m’amusait…
Louis faisait quelques travaux chez moi et déjeunait avec nous. Il avait remarqué mon exaspération et semblait se réjouir en me voyant en rogne secrète. Son sourire et son œil malicieux m’en disaient long. Je le sentais complice, je l’imaginais en train de me pousser à sortir de mes gonds… Il me chauffait comme on excite un chien « xi ! xixi ! attaque ! »

Contrairement à l’intrus de service, Louis aime bien goûter à tout et ne rechigne jamais devant une nouveauté. Il teste volontiers et se prononce ensuite. Lui est amateur d’ail !
J’avais concocté un menu exclusivement à base d’ail cru. Une sorte de fête au caïeux, un festival de la gousse. J’avais mis du condiment dans tout. Ecrasé, lamellé et même légèrement cuit, confit dans de l’huile d’olive et du thym… J’avais calculé mon coup en prétextant que j’avais compris exactement le contraire d’où l’omniprésence de l’ail.
« L’invité » qui s’était invité tout seul pour s’installer à la campagne et fuir la ville, se tint à l’écart éloignant le plat qui titillait ses narines d’effluves répulsives*.
Il fit un bond de l’entrée au dessert se tenant à l’écart de tout ce qui sentait l’ail, se jetant, au beau milieu du repas, sur le melon. Sa compagne toujours aux petits soins pour lui, demandait :
– Qui va manger du melon ? 
Non pour servir les autres mais pour remplir l’assiette de son homme fâché avec les alliacées . Il n’y avait donc pour son repas que melon et fromage. Point d’alliacée et c’était assez !

Ail sauvage, dit des ours.

Louis est un gastronome. Il prend son temps, beaucoup de temps. Les aliments ne sont jamais avalés tout de go, ils doivent débourser toute leur saveur avant de parvenir au fond de son gosier.
Il avait pris beaucoup de retard sur son voisin qui vidait le plateau de fromage sans vergogne et sans penser aux autres, décidé à ne pas rester sur sa faim. Je sais que mon ami ne termine jamais son repas sans « un pizzatellu di casgiu » (un p’tit bout de fromage), c’est lui qui le dit. C’est sacré, presque un rituel.
Chemin mâchant et sans doute désolé de voir tout l’assortiment fondre sous ses yeux, il posa un œil inquiet sur un morceau de mascarpone qui menaçait de disparaître dans les prochaines secondes.
Alors, ne tenant plus, comme un chat à l’affût qui bondit sur une proie, il déploya son ressort droit et sa main s’empara du morceau qu’il posa à côté de son assiette en disant :
– Quissu hè u meiu ! (Ça c’est à moi !)
C’est sorti du cœur. Il demeura bien sérieux, presque fâché d’avoir frôlé la privation de fromage.
L’ami s’amusait de mon sort devant tant de désinvolture mais n’avait pas supporté de manquer de mascarpone, son laitage préféré. Il s’était assombri et, très méfiant, veillait sur son dernier espoir de crémeux, fondit sur le morceau tel un rapace affamé…

L’intrus, sans doute troublé par l’omniprésence de l’ail, quitta l’endroit dès le lendemain dans l’après-midi.

C’est une vielle anecdote, nous en rions pour égayer nos ans vieillissants.
Il est toujours plaisant de parler des jours anciens, du temps où nous étions encore pimpants et pleins d’insouciance…

Cette histoire vaut bien un fromage sans doute !

Moralité :
Toujours garder un œil sur l’importun, et toujours conserver une gousse d’ail en réserve, sait-on jamais… Si besoin était de l’éconduire, lui faire savoir qu’il n’est pas le bienvenu.
Jean du Bassin dit « Simonu di l’Aratasca ».

Maintenant que le Père-Noël 2022 m’a porté un chapeau, je vais pouvoir m’assoir sur un banc au soleil, le menton reposant sur mes mains agrippées à la crosse de la canne. Les souvenirs auront tout loisir de faire le tour de mes neurones, prenant les circonvolutions pour des virages, feront rodéo sans risquer de percuter quiconque !
La vie est belle, tout de même ! Non ?

*Effluve est masculin mais le féminin est toléré au pluriel. Cela me plaisait davantage…

Ne cherchez pas à comprendre l’image en titre, je n’avais pas de mascarpone sous la main, c’est une écrasée de pommes de terre, à l’ail, huile et piment, à la sortie du four..

4 Comments

  1. Elle est bien bonne cette histoire et écrite avec brio et sourire malicieux 😉
    Vous avez eu beaucoup de patience, heureusement car la fin n’eut pas été aussi savoureuse si vous aviez attaqué l’intrus frontalement. Tout en finesse, m’sieur Simonu !
    J’allais oublier : chapeau! 😉

  2. Un chapeau à la ‘Al… Capone’
    ou un Borsalino ?
    hâte de voir !
    A bientôt et toujours bravo de nous permettre de savourer vos textes et de saliver devant les réalisations culinaires.

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