Mon vieux Noël…

Malgré les deux grosses bûches posées sur les côtés de la cheminée, la grande pièce qui faisait office de cuisine et de salle à manger demeurait très froide.

C’était une tradition, u cippu, la grosse bûche réservée pour la veillée de Noël représentait le patriarche, souvent un grand-père encore vivant. Jamais grand-mère n’aurait songé à réclamer la sienne pour être à égalité au-dessus du trépied sur lequel reposaient et mijotaient les marmites.
Elle était fière de son conjoint et s’émerveillait devant le gros tronc qui allait durer toute la nuit pour réchauffer la maison.
La porte de la chambre, nommée le frigidaire, était grande ouverte afin d’accueillir un peu de chaleur. Nous ne ne pouvions faire cela les soirs ordinaires faute de réserve de bois. Les braises natales étaient beaucoup plus épaisses et fournies pour rôtir le traditionnel cabri.

Grand-père s’occupait du feu, l’attisant avec son vieux soufflet rapiécé, brisant les parties incandescentes, étalant un gros molleton de charbons ardents avec son tisonnier pendant que grand-mère préparait le cabri.
Déjà embroché, légèrement huilé, aillé à souhait, couché sur un grand plat ovale posé sur la table centrale, il attendait le moment de passer devant les braises.
Sur la cheminée trônait un grand bol de salamughja. Une sorte de vinaigrette composée d’ail écrasé, de vin rouge et d’eau, parfumée aux herbes sèches, servait à humidifier le rôti mené jusqu’à croustille.
Une longue cuisson, bien calculée pour qu’il soit fin prêt au moment de minuit après la messe.

A rivia, une belle « brochée » d’abats emmaillotés dans une crépinette, ficelée avec l’intestin du cabri préalablement nettoyé, se dorait à bonne distance du foyer pour une cuisson lente. C’était un art car souvent, les non initiés brûlaient l’extérieur, l’intérieur de la brochette restait cru, encore saignant. Lorsqu’elle prenait trop de retard, grand-mère préférait cuire légèrement les abats embrochés avant de les couvrir de crépinette et les ficeler de boyaux. Elle finissait la cuisson sans cesser d’arroser de salamughja.

Les enfants étaient silencieux en pensant au Père Noël en voyage vers les chaumières, au-dessus des nuages. Nous rêvions de panoplies, de pistolets à bouchons ou à capsules, de voitures…
Au petit matin, nous étions debout très tôt pour récolter dans nos chaussures, une orange, une mandarine, quelques papillotes, un petit jouet parfois. Il nous est arrivé de trouver des os de cabri, une sorte de punition pour les enfants qui avaient oublié d’être sage durant une partie de l’année.

Je collais mon nez contre le carreau de la porte d’entrée, la vitre s’embuait à la respiration, le paysage était tout blanc.
Les flocons de neige chutaient mollement dans un mouvement sinusoïdal, parfois valsaient sous un souffle léger. Eole s’amusait à me changer les idées, il organisait une sorte de danse m’invitant à sortir.
J’enfilais les gants de laine que grand-mère m’avait confectionnés pour l’hiver et je m’aventurais sur le tapis blanc d’un pas volontaire mais ralenti par l’épaisseur neigeuse.
Je levais les yeux au ciel, ouvrais la bouche pour gober les flocons au vol, suivant maladroitement leur chute cadencée. J’en recevais plus sur les joues, le nez et sur le front que dans la bouche.
Très vite, les cils piégeaient une flopée ouateuse, fondante, je fermais les yeux continuant à happer au hasard tout ce qui tombait du ciel…

Planté dans la neige, presque prisonnier, quasiment empêché de me mouvoir, j’oubliais le père voyageur, tout de rouge vêtu, qui n’avait pas trouvé mon domicile.
Il venait de si loin chargé comme un baudet, vidant sa hotte dans les maisons environnantes.
Je gardais l’espoir, l’année prochaine peut-être restera-t-il quelque bricole pour moi, ma demeure était en bout de course.

C’était mon Noël, je m’accommodais de ma condition sans jamais jalouser le voisinage…

L’image en titre : Grand-père aveugle cherchait l’appareil photo, je faisais mes premiers pas de photographe, grand-mère tenait a rivia, la brochette d’abats.

Couple de pinsons.
Le mâle au premier plan.

8 Comments

  1. Eh oui, la dernière maison était oubliée mais le petit Simonu était heureux quand même : il savait déjà rêver 🙂
    Joyeux Noël à vous et à toute la famille !

  2. Une nouvelle fois, merci Simon d’avoir si bien évoqué ces moments qui ont bercé notre enfance, nous nous reconnaissons un peu tous dans cet enfant qui est émerveillé et essaie « d’avaler » la neige… JOYEUX NOËL

  3. Joyeux Noël Simonu ainsi qu’à toute votre famille .
    Papa noël nous a bien gâté depuis , certes différemment , mais bien gâté .
    En ce temps là tout était émotions , amour , affection , la vie vie coulait douce plus ou moins, nous en faisions notre pain béni …
    Abracciu fraternu fi temps fà .

  4. Joyeuses fêtes de fin d’année à toi et à ta famille. Je vois que je ne suis pas le seul à me souvenir de ces moments. Merci à toi.

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