Lorsque j’étais au CM2 rien ne laissait supposer que j’écrirai un jour. Champion toutes catégories de la faute d’orthographe, lecteur encore balbutiant, plutôt lent à la détente scolaire, j’attendais que le temps passe, la tête basse et l’angoisse au ventre.
Mon maître de l’époque ne semblait pas s’émouvoir, il était de ceux qui sont investis d’une mission et qui savent détecter l’insondable. Il avait rassuré mon père qui lui faisait entièrement confiance. Je sentais sa présence derrière moi et me souviens de ses doigts poudrés de craies de toutes les couleurs lorsqu’il posait son index sur un mot tordu posté sur les lignes de mon cahier, souvent sans rien dire et qui vous fait réagir.
On avait du mal à connaître le son de ma voix, j’étais plutôt du genre fermé à double tour, tout en pensée plus qu’en réflexion. Mais je captais à merveille le peu que je pouvais entendre car j’avais subi une perte conséquente de l’audition à l’âge de cinq ans, causée par des médicaments destructeurs du nerf auditif. Une info que j’apprendrai bien plus tard à l’âge adulte.
Pour illustrer une leçon d’instruction civique, l’enseignant recourait souvent aux travaux pratiques. Pour nous plonger dans la réalité des élections, il avait organisé un scrutin avec deux candidats qui devaient faire campagne pendant trois ou quatre jours avec un faux programme à l’appui. J’avais été choisi pour être l’un d’eux et je pense avoir compris pourquoi il m’avait désigné. Sa mission était de tirer le maximum de ses élèves en difficulté et j’étais de ceux-là.
J’ai franchi victorieusement ce premier et dernier cap électoral alors que j’avais voté pour mon adversaire qui était aussi mon ami. Une manière de me défiler et d’éviter les joies postélectorales avec réception et forces réjouissances. Je me souviens de ma joie toute rentrée. Cela m’avait valorisé et ce fut probablement un de mes premiers coups de fouet, même si c’était pour de faux. La preuve, j’en parle encore aujourd’hui. C’était une sorte de départ dans la confiance en soi, toute petite mais très utile cependant. Je dois avouer que mon concurrent de l’époque a largement pris sa revanche car il est désormais régulièrement élu aux scrutins municipaux. Je doute qu’il se souvienne spontanément de ce moment d’apprentissage…
Cette anecdote n’a jamais aiguisé mon intérêt pour devenir élu et m’a davantage conduit à réfléchir sur les motivations des candidats et leur acharnement à vouloir le pouvoir. J’avais dû ressentir quelque chose de déplaisant qui expliquerait ce regard méfiant et cette répulsion pour une conduite pourtant nécessaire si l’on veut vivre en démocratie. C’est comme ça.
Je suis devenu un très mauvais citoyen* après avoir été un élu exemplaire qui est resté fidèle à son programme en gardant un œil bienveillant sur tous, le temps de sa mandature ludique.
Sans doute, inconsciemment, me suis-je rendu compte qu’il était impossible de rester sincère dans la conduite de la chose publique… Alors ça se fera sans moi.
Mieux vaut brève exemplarité que longue dérive vers d’inavouables convoitises.
Evidemment, cet énième écrit sur les choses de la vie est à prendre au-delà du premier degré, à vous de voir.
*Qui choisit ses scrutins.
Bien Simon sur au moins deux points au moins :
Les succès d’enfance, même simulés, sont formateurs et mieux, renforcent ceux qui tendent à plier l’échine. Qui, en fouillant bien dans le sac à souvenirs ne trouvera pas d’exemples ?
Reste qu’effectivement nous ne sommes pas égaux en matière de capacité aux coups tordus, promesses hâtives, pieux mensonges, esquives feutrées ou coups de force. Or il est à craindre que cette capacité soit nécessaire à qui veut prendre en charge la chose publique. L’électeur veut de l’espoir et/ou de la vengeance, fut-ce contre des compromissions et des abdications de liberté. Nous y sommes.
A vous relire.
Curieuses trajectoires de la vie avec apprentissages(s) ludique(s) qui sonnent comme des pré-destins. Aujourd’hui, dans ce pays de Voltaire, où l’abstention semble gagner de partout, tandis que d’autres (parfois les mêmes ??) militent dans la rue pour des causes diverses, il apparait qu’on a encore le permis de rêver sa vie ! Cette vie qui s’écoule prodigieusement vite, quand il s’agit de moments heureux, et hélas de façon atrocement ralentie lorsque victimes du Sort nous sommes… Rêver sa vie pour vivre ses rêves (!) voilà qui n’est pas un luxe. Cela sans tomber dans le piège des rêveries mélancoliques et par trop nostalgiques. Ton article, Simon, m’évoque cette belle idée de Rêverie active. Tu y suggères une distinction entre la pensée active, constructrice, et la réflexion connotée passive comme un écho aux expériences de la vie. L’une ne va pas sans l’autre. La réflexion préalable, il est vrai, ne prévaut pas sur l’Idée qui nous engage pour l’avenir. Au plaisir de te relire.
Merci JP pour ton commentaire que j’apprécie. Vois-tu, c’est curieux, je viens d’écrire le prochain texte qui va s’intituler « Un homme dans les étoiles » qui semble répondre en écho à ta phrase : « Cette vie qui s’écoule prodigieusement vite… » J’ai eu un sourire en la lisant, j’ai pensé au lapsus calami comme si tu avais écrit « Cette vie qui s’écroule… » Pas vraiment un lapsus presque une similitude dans l’idée. C’est un peu de cela qu’il s’agira dans le prochain texte en explicite mais surtout en filigrane. Oui, JP, quelle est loin notre Piazza di Coddu de l’insouciance lorsque nous jouions au Tour de France sous le grand cerisier… Le temps est fou ou plutôt s’en fout. Quel dommage d’être passés si vite. D’un commentaire comme le tien, jaillissent les éclats d’une vie… J’ai fait un long voyage dans le passé.
Bien sûr, cette Vie s’éc(r)oule de façon prodigieuse… comme elle s’enrichit des souvenirs, du passé. Tu nous rappelles le vieux cerisier sous lequel nous jouions et qui tomba un jour de tempête quelques trente années plus tôt… Nous faisons un voyage dans le temps, comme dans le passé. Quelques soient notre Foi, même athée, on garde toujours le même espoir de retour en arrière (immortalité ?) en tous cas, à travers l’art et la poésie qui en témoignent. N’appelle-t’on pas (de façon un peu dérisoire, sans doute) nos vieux écrivains et académiciens des « Immortels » (!) ce qui a peut-être le don d’inspirer des humoristes… mais aussi les mystiques. Et, malgré la science, il reste tant de mystères à résoudre.